Publié le 03 sep 2012Lecture 7 min
La femme « super obèse » et l’accouchement
T. HARVEY, Hôpital des Diaconesses, Paris
En constante augmentation quel que soit le pays, l’obésité morbide est devenue un problème de société. Plus d’une femme sur cent présente un index de masse corporelle supérieur à 40 kg/m². En âge de procréer, les risques obstétricaux maternels sont dominés par l’hypertension artérielle, le diabète ; côté foetal, il existe un risque malformatif accru, en particulier, de nonfermeture du tube neural, dont la prévention repose sur une supplémentation par 5 mg d’acide folique préconceptionnelle. En salle de naissance, le risque de césarienne et de ses complications est augmenté. Une prévention de l’obésité morbide en obstétrique repose, outre les mesures hygiéno-diététiques, sur la chirurgie bariatrique (anneau ou by-pass). Ces patientes opérées doivent bénéficier d’une surveillance particulière avec, en particulier, des règles de supplémentation alimentaires strictes. Cette chirurgie permet une réduction significative des complications obstétricales et devient recommandée.
Le surpoids est devenu courant, l’obésité modérée fréquente et morbide est loin d’être exceptionnelle. L’étude ObÉpi, portant sur les femmes entre 1997 et 2009, a vu la prévalence de l’obésité (IMC > 30 kg/m²) passer en France de 8,3 à 15,1 %, alors que celle du surpoids n’est passée que de 23,3 à 26 %. Les femmes super obèses sont celles dont l’IMC est > 40 kg/m², dont la prévalence a augmenté de 0,3 % en 1997 à 1,1 % en 2009. Chez les femmes en âge de procréer on retrouve les mêmes chiffres. Malgré une fertilité moindre, avec parfois une aide à la procréation, le nombre de grossesses chez les « super obèses » est non négligeable et constitue un problème de santé publique. Quels risques obstétricaux ? • Sur le plan maternel, on note davantage de prise de poids, de diabète gestationnel ou de diabète de type 2 découvert à l’occasion de la grossesse, d’hypertension artérielle gravidique ou de prééclampsie avec ses complications, comme le Hellp syndrome. • Sur le plan foetal, le nombre de malformations est plus élevé. Le taux d’anomalies de fermeture du tube neural est multiplié par 2,1 et corrélé à l’IMC. Sa prévention est possible avec une prescription préconceptionnelle d’acide folique de 5 mg, au lieu des 400 μg habituels. Les autres malformations les plus fréquemment rencontrées sont cardiaques, faciales, des membres et de la paroi abdominale. La cause peut en être l’insulinorésistance, une hygiène alimentaire inappropriée avec des déficits nutritionnels. Leur dépistage échographique est difficile compte tenu de la paroi maternelle, et quelques astuces, comme l’utilisation de la sonde vaginale dans l’ombilic, peuvent servir. L’information de la patiente sur ces difficultés techniques est primordiale. Par ailleurs, le nombre de foetus macrosomes de plus de 4 000 g est augmenté, y compris en l’absence de diabète. • En salle de naissance, d’autres difficultés sont à craindre. L’utilisation de tables adéquates, aussi bien pour l’accouchement qu’au bloc opératoire, est indispensable. Le monitorage du rythme cardiaque foetal et des contractions utérines est plus difficile. La première partie du travail est plus lente, se combinant avec une dystocie à la fois dynamique et mécanique. Au moment de l’expulsion la crainte d’une dystocie des épaules augmente, à elle seule, le recours à la césarienne. Selon l’IMC préconceptionnel (Dietz 2005), le taux de césarienne passe de 14,3 % en dessous de 19,8 kg/m², à 42,6 % au-dessus de 35 kg/m2, soit un risque relatif de 3,1 significatif. L’anesthésie, qu’elle soit locorégionale ou générale, est plus difficile, risquée ; là aussi une information préalable de la patiente est primordiale. Les intubations sont plus difficiles, les échecs de péridurale plus fréquents avec des ponctions multiples. Les complications per- et postopératoires sont plus fréquentes : anémie par spoliation sanguine accrue, temps chirurgical plus long, davantage d’endométrite malgré l’antibioprophylaxie, d’hématome et d’abcès pariétaux. Une technique opératoire décrite par les équipes de Dijon et Besançon permet, par une incision horizontale supra-ombilicale, un bon abord du segment inférieur, moins de risques pariétaux au prix d’une cicatrice, certes haute…, mais de meilleur pronostic qu’une incision sous le tablier. Le risque thromboembolique est au premier plan, nécessitant une prévention associant des bas antithromboses sur mesure et l’emploi des héparines de bas poids moléculaire à une posologie adaptée. • Les nouveau-nés présentent, eux aussi, des particularités. Outre le risque accru de mort foetale in utero attribué à une hypoxie maternelle (apnée du sommeil…) majorée par un débit utéroplacentaire diminué du fait de l’athérosclérose fréquente due à l’hyperlipémie, la macrosomie foetale a ses complications obstétricales (dystocie de épaules, extractions instrumentales) et postnatales : hypoglycémie, hypocalcémie et hyperbilirubinémie, majorées en cas de diabète maternel. Ces enfants, à l’âge adulte, auront un devenir différent, avec plus de surpoids, surtout en cas de diabète maternel, plus d’intolérance aux hydrates de carbone et d’hypertension artérielle. Intérêt de la chirurgie bariatrique Ces dernières années, le recours à la chirurgie de l’obésité dite « bariatrique », a changé le paysage obstétrical. En effet, en cas d’obésité, les recommandations préconceptionnelles associent les conseils nutritionnels, un exercice physique adapté à la morphologie et aussi le recours à cette chirurgie. Pour les Canadiens, le message est clair : « Seule une stratégie nationale serait en mesure de contrer la complaisance entourant la question du poids prégrossesse et d’aviser les femmes de la hausse considérable des risques que pose l’obésité pour elles-mêmes et leurs enfants ». Différentes techniques sont possibles entre la mise en place d’un anneau gastrique ajustable par voie laparoscopique et la réalisation d’un shunt ou by-pass. Le suivi de ces grossesses ne doit pas être banalisé. Une prise en charge préconceptionnelle est indispensable. Outre la supplémentation en acide folique, il existe presque systématiquement des carences associées. En cas de by-pass, la malnutrition avec carence protéique, en fer et vitamines B12, D et K est fréquente. Ce risque augmente avec le temps comme l’a montré au Brésil Nomura en 2011, avec à quatre ans, une augmentation des anémies ferriprives et des transfusions. La fréquence des hyperémèses ou du dumping syndrome peut conduire à un ajustement de l’anneau. Quel délai conseiller avant une grossesse en cas de chirurgie bariatrique ? Idéalement 18 mois, mais souvent le désir de grossesse devance ces recommandations. En effet, pendant la première année post-chirurgie il faut apprendre à manger en petites quantités et instaurer, en cas de by-pass, une supplémentation à vie car l’estomac devient incapable de toute absorption. Cette année d’adaptation est nécessaire. Quel devenir dans la chirurgie bariatrique ? Le devenir des grossesses après anneau gastrique a été étudié en Italie (Lapolla 2010) en comparant 69 femmes obèses porteuses d’un anneau, 120 sans anneau et un groupe contrôle de 858 patientes. Il a été montré une réduction significative en termes de gain de poids, d’hypertension gravidique, de prééclampsie et de césariennes chez les femmes présentant une obésité sans et après anneau. Néanmoins, si malgré l’anneau une obésité morbide persiste, le gain de poids sera plus faible et le risque d’HTA plus élevé que chez les porteuses d’un anneau ayant un IMC moindre. Une autre étude, publiée en 2011 (Sheiner), a comparé les issues de grossesses un an avant ou après la chirurgie bariatrique. Les IMC préconceptionnels et préaccouchement étaient comparables. Il n’a pas été observé de différence significative concernant la survenue de l’HTA, du diabète, des malformations congénitales, ni de complications propres à la chirurgie bariatrique. Enfin, concernant l’allaitement, pas de changement, les effets bénéfiques maternels et néonatals sont présents, moyennant une supplémentation et une surveillance nutritionnelle adaptées. En conclusion Les grossesses chez les femmes présentant une obésité morbide sont à classer dans les surveillances à risque. La chirurgie bariatrique a montré un bénéfice certain, mais ses contraintes pré- et postconceptionnelles doivent être connues des praticiens et des patientes, comme dans toute maladie « chronique ».
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