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Cancérologie

Publié le 15 fév 2022Lecture 7 min

Les causes évitables du cancer du sein en France

Catherine HILL, épidémiologiste, Gustave-Roussy, Villejuif

Les trois premières causes certaines et évitables de cancer du sein sont, en France, la consommation d’alcool, le surpoids et l’obésité, et le traitement hormonal de la ménopause, respectivement responsables de 15 %, 8 % et 5 % des cancers du sein diagnostiqués en 2015. Le tabac et une alimentation pauvre en fibres sont des causes probables qui pourraient être responsables chacun de 4 % des cancers en 2015.

Le Centre International de recherche sur le cancer (CIRC) a rassemblé environ 80 chercheurs pour faire une estimation du nombre de cancers attribuables au mode de vie et à l’environnement en France métropolitaine dans l’année 2015. Nous présentons les résultats de la partie de ce travail, qui concerne le cancer du sein. Méthode Pour estimer le nombre de cancers du sein attribuables à une exposition, il faut connaître la prévalence de cette exposition, l’augmentation du risque de cancer du sein associée à cette exposition et le nombre total de cancers du sein diagnostiqués en 2015. La figure 1 explique le principe du calcul dans le cas le plus simple d’une exposition résumée en deux catégories : exposé oui/non. Le principe se généralise facilement aux expositions résumées en plusieurs catégories et aux expositions continues. Les expositions prises en compte sont celles qui ont été considérées comme certainement ou probablement cancérogènes pour le sein. Les données d’exposition ont été obtenues à partir d’enquêtes nationales représentatives de la population ou, à défaut de métaanalyses, d’enquêtes de cohortes ou de cas-témoins. Les relations de risque entre les expositions et le cancer du sein ont été tirées, par ordre de priorité, de métaanalyses, de grandes études de cohortes ou de cas-témoins ou, enfin, d’études limitées à la France. Les expositions de la population prises en compte sont celles observées vers 2005 pour tenir compte du temps de latence nécessaire à l’apparition d’un cancer. Résultats Les expositions prises en compte parce que « certainement » cancérogènes pour le sein sont la consommation d’alcool, le surpoids ou l’obésité, le traitement hormonal de la ménopause (THM), l’exposition environnementale ou professionnelle aux rayonnements ionisants et les contraceptifs oraux. Le surpoids ou l’obésité et le THM augmentent seulement le risque de cancer du sein après la ménopause. L’allaitement, facteur certainement protecteur, a aussi été pris en compte. La consommation de fibres alimentaires et l’activité physique sont des expositions « probablement » protectrices. On a aussi pris en compte le tabac et les expositions professionnelles à l’oxyde d’éthylène et le travail de nuit bien qu’il n’y ait que des « preuves limitées » qu’ils augmentent le risque de cancer du sein. • Consommation d’alcool(1) Parmi les 53 000 cancers du sein diagnostiqués en 2015, 15 % sont attribuables à la consommation de boissons alcoolisées. Cette consommation a été estimée en utilisant la quantité d’alcool mis à disposition de la population française, estimée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et la consommation par sexe et par âge déclarée dans le Baromètre santé 2005, une enquête sur un échantillon représentatif de la population française. Les données de cette enquête ont été corrigées pour tenir compte de la sous-déclaration de la consommation (Shield et coll. 2017). En 2005, 85 % des femmes de 12 ans et plus déclaraient boire de l’alcool, et leur consommation moyenne était de 12 g/j. Cette consommation moyenne augmentait avec l’âge, de 5,5 g/j entre 15 et 19 ans jusqu’à 19,5 g/j à 70 ans et plus. L’augmentation du risque de cancer du sein est de 10 % pour 10 g d’alcool pur par jour supplémentaire. • Surpoids et obésité(2,3) La fraction des cancers du sein attribuable au surpoids (indice de masse corporelle [IMC] entre 25 et 29,9 kg/m2) et à l’obésité (IMC ≥ 30) est de 8 %. D’après l’étude nationale nutrition santé de 2006, la population des femmes de 50 ans et plus compte 34 % de femmes en surpoids et 24 % d’obèses. L’augmentation du risque de cancer du sein est de 5 % pour chaque augmentation de l’indice de masse corporelle de 2 kg/m2 par rapport à un IMC de 22. • THM(4,5,6,7,8) On estime que le traitement hormonal de la ménopause est responsable de 5 % des cancers du sein diagnostiqués en 2015. On sait que, depuis les premiers résultats de l’essai Women Health Initiative et de la Million Women Study en 2002 et en 2003, les traitements hormonaux de la ménopause augmentent le risque de cancer du sein. Le risque est d’autant plus grand que la durée d’utilisation est importante, et il est moins augmenté quand l’estrogène est associé à une progestérone micronisée que quand elle est associée à une autre progestagène. En 2015, environ 1 femme de 50 ans et plus sur 3 utilisait ou avait utilisé un traitement hormonal de la ménopause. • Inactivité physique(2,3) Une activité physique insuffisante est responsable de 3,8 % des cancers du sein diagnostiqués en 2015. D’après l’étude nationale nutrition santé de 2006, 63 % des femmes ont une activité physique modérément intense d’une durée moyenne inférieure à 30 minutes par jour. Cette durée de 30 min/j est considérée comme suffisante. Une division par 2 de cette durée est associée avec une augmentation du risque de 4,7 %. • Radiations médicales(9,10) On peut estimer que les examens radiologiques diagnostiques ont causé environ 1,1 % des cancers du sein diagnostiqués en 2015, 1 % pour la radiologie conventionnelle et moins de 0,1 % pour la médecine nucléaire. L’exposition a été estimée par âge à partir du nombre d’actes de radiologie, de scanographie et de médecine nucléaire, et des doses au sein de chaque type d’examen radiologique. L’estimation du risque a été tirée du rapport sur les effets biologiques des radiations ionisantes (Biological Effects of Ionizing Radiation VII). • Contraceptifs oraux(11) On peut attribuer 0,8 % des cancers du sein diagnostiqués en 2015 à l’utilisation de contraceptifs oraux (et 5 % des cancers du col de l’utérus), mais cette utilisation a aussi évité 2 500 cancers de l’endomètre ou de l’ovaire. La prévalence de l’utilisation des contraceptifs oraux a été tirée d’une série d’enquêtes successives menées par l’Inserm et l’Ined. Le risque relatif a été estimé à partir d’une métaanalyse (tableau 1). • Exposition professionnelle 1,3 % des cancers du sein en 2015 est probablement attribuable à un travail de nuit, mais le niveau de preuve est limité(12,13). La prévalence de l’exposition des femmes dans la période 1965- 2005 a été estimée à 6,3 %. L’exposition professionnelle à l’oxyde d’éthylène(14,15) est responsable de 0,03 % des cancers du sein; on estime que 0,1 % des femmes y a été exposé professionnellement entre 1965 et 2005, et que cette exposition augmente de 20 % le risque de cancer du sein. • Alimentation pauvre en fibres(2,16) Une alimentation pauvre en fibres est probablement associée à un risque augmenté de cancer du sein ; l’augmentation serait de 5 % pour 10 g/j de fibres en moins. La consommation moyenne des femmes en 2006 était de 16 g/j, et 90 % des femmes avaient une consommation inférieure à l’apport recommandé qui est de 25 g/j. On pourrait donc attribuer à cette alimentation pauvre en fibres 4 % des cancers du sein diagnostiqués en 2015. • Bénéfices de l’allaitement(17,18) Si toutes les femmes avaient allaité chacun de leurs enfants 6 mois, on aurait évité 3,1 % des cancers du sein diagnostiqués en 2015. En 2015, 56 % des femmes de 20 à 39 ans qui ont eu des enfants les ont allaités, contre 44 % de celles de 40 à 69 ans et 34 % de celles de 70 ans et plus. La durée de l’allaitement était d’au moins 1 mois pour 39 %, d’au moins 3 mois pour 25 % et d’au moins 6 mois pour 14 %. Le risque de cancer du sein diminue de 4,6 % pour chaque durée de 12 mois d’allaitement. • Consommation de tabac(19,20) Il est possible que le tabac augmente le risque de cancer du sein. Ce risque serait augmenté de 20 % chez les fumeuses(20) et le tabac pourrait être responsable de 4 % des cancers du sein diagnostiqués en 2015. Conclusion Plus d’un tiers des cancers du sein diagnostiqués en 2015 sont potentiellement évitables. Les deux mesures les plus efficaces seraient une réduction de la consommation d’alcool et une baisse de la prévalence du surpoids et de l’obésité dans la population féminine. Malheureusement, la consommation d’alcool des femmes n’a pas beaucoup changé, et la prévalence de l’obésité augmente. Parmi les autres facteurs, la diminution de l’utilisation du traitement hormonal de la ménopause et la probable augmentation de l’allaitement maternel vont contribuer à réduire les risques de cancer du sein en France. La mesure des risques permet de définir les stratégies de prévention des cancers sur des bases solides. Le tabac et l’alcool sont les deux premières causes de cancer en France, mais les lobbies et certains écologistes ont jusqu’ici été très efficaces pour brouiller les messages.

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