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Publié le 17 mai 2021Lecture 9 min
HPV et cancers : hommes et femmes, tous concernés
Les virus HPV sont des virus ADN très anciens, très stables et résistants dans le milieu extérieur, qui ont pour cibles les principales zones érogènes. Parmi les virus HPV à haut risque (HR), les deux plus agressifs sont les 16 et 18, associés au développement de cancers du col utérin, du vagin et de la vulve chez la femme, du pénis chez l’homme, ainsi que de l’anus et de l’oropharynx dans les deux sexes. Les HPV à bas risque s’intéressent surtout à la peau. Les connaissances sur le HPV et ses modalités de transmission, ainsi que sur les cancers induits et leur épidémiologie se sont affinées dans les dernières décennies. Les moyens de prévention de ces cancers, ainsi que leurs modalités d'application ont également récemment évolué en France.
La contagiosité des infections à HPV est très élevée par simple contact cutanéo-muqueux, sans besoin de pénétration lors des rapports sexuels, voire indirecte par les sous-vêtements, sextoys, ce qui explique que le préservatif ne procure qu’une protection relative. Le passage de l’HPV de l’homme à la femme est moins important que de la femme à l’homme et les hommes sont plus susceptibles aux HPV tout au long de leur vie.
Impact génital des infections HPV
On dénombre environ 100 000 nouveaux cas de condylomes par an en France. Ces lésions précoces et très contagieuses touchent des sujets jeunes. Le délai entre l’infection HPV (principalement HPV 6/11) et la lésion est de 3 mois en moyenne, avec un pic de prévalence à 16-24 ans et une contagiosité de 85 % en cas de contact récent(1). La prise en charge est difficile, les traitements longs et douloureux, les échecs thérapeutiques et les récidives sont fréquents (> 30 % des cas).
Les cancers du col utérin liés aux HPV-HR évoluent lentement sur 5 à 15 ans. Le plus souvent, en cas d’infection à HPV-HR, le virus est clairé car l’immunité est suffisante ; dans 10-20 % des cas, l’infection persiste et peut aboutir à l’apparition d’une néoplasie intraépithéliale (CIN) qui, en l’absence de dépistage, peut conduire à un cancer avec rupture de la basale (pic d’incidence vers 40 ans ; médiane de mortalité vers 60 ans)(2). Contrairement à d’autres cancers, le taux de survie à 5 ans du cancer du col se dégrade : 68 % en 1990, 52 % en 2010(3).
Stratégie de prévention du cancer du col utérin
La stratégie de prévention déployée en France pour éviter les lésions de haut grade CIN1/2 et les cancers repose sur 3 mesures :
– la prévention primaire par la vaccination avant les premiers contacts ;
– la prévention secondaire « précoce » par le test HPV depuis 2019, pour rechercher la présence d’HPV HR précurseur des lésions ;
– la prévention secondaire « tardive » par le frottis cervical pour rechercher la lésion (dépistage organisé depuis 2018).
Pourquoi le dépistage par test HPV ? Comparativement à la cytologie dont la spécificité est excellente mais la sensibilité insuffisante (65-70 %), la valeur prédictive négative (VPN) du test HPV est proche de 100 %. Un quart des femmes traitées pour un cancer invasif (mais près de la moitié chez les femmes de moins de 45 ans) avaient des frottis négatifs dans les 3 ans précédant le diagnostic. En outre, la couverture du dépistage par frottis est insuffisante (65 %).
Le test HPV permet un dépistage précoce des CIN2+ sans sur-diagnostic des CIN2+ transitoires, et allonge le délai entre deux dépistages. Cette modalité de dépistage permet de ne s’occuper que des lésions de bas grade HPV-HR+ et la détection précoce des lésions de haut grade. Ainsi, les conisations seront réservées aux lésions avec persistance de l’infection HPV(4).
Avant 30 ans, 20 % des patientes sont HPV+ mais elles vont éliminer leur HPV ; il n’est donc pas nécessaire de faire un test HPV en 1re intention. On fait un frottis à 25, puis 26 ans, puis tous les 3 ans si les premiers frottis sont normaux. Avant 25 ans, le frottis n’est pas nécessaire, à l’exception des femmes ayant des saignements inexpliqués. En cas d’ASCUS, on fait un triage par le test HPV, ce qui évite la moitié des colposcopies. En cas de frottis bas grade, haut grade ou d’anomalies de l’endocol, il faut faire une colposcopie(5).
À partir de 30 ans et jusqu’à 65 ans, la clairance des HPV-HR devrait avoir eu lieu. La cytologie est secondaire si le test HPV est positif. Les recommandations préconisent d’arrêter les frottis après 65 ans, mais on restera cependant vigilant si la femme a toujours une activité sexuelle.
Au total, si le test HPV est négatif, on espace la surveillance par test HPV à 5 ans en toute sécurité. Si le test HPV est positif, la cytologie intervient en 2e ligne et la colposcopie uniquement en cas d’ASCUS.
La coexistence d’un test HPV positif et d’un frottis normal signifie qu’il existe un facteur de risque mais pas de lésion de haut grade. Certaines patientes HPV-HR+ ne développeront jamais de lésion de haut grade. Il faut donc rassurer, expliquer, mais continuer la surveillance, chaque année par test HPV ; en cas de persistance de la positivité, une colposcopie de contrôle permet de découvrir une éventuelle lésion.
Une femme qui porte des HPV oncogènes peut être à risque pour son partenaire. Si l’homme a une mauvaise immunité, il pourra développer un cancer du pénis, de l’anus ou ORL. En cas de verrues génitales chez la femme, il est conseillé d’examiner le partenaire ; il en est de même en cas de récidive de lésion de haut grade chez une femme car l’homme peut présenter une lésion de PIN, avec une réserve d’HPV-HR qu’il peut retransmettre à sa partenaire.
Autres cancers ano-génitaux
L’âge médian au diagnostic de cancer du vagin est de 75 ans en France. Ce cancer représente < 1 % des cancers gynécologiques (162 nouveaux cas annuels), est majoritairement HPV-induit (74 %), surtout à HPV 16 (73 %) mais aussi à HPV 18/31/33 (5 % chacun) ; 30 % des cancers du vagin surviennent chez des patientes traitées pour un cancer invasif du col(3).
Le cancer de la vulve est aussi un cancer de la femme âgée et représente 5 % des cancers gynécologiques (84 cas annuels) ; 30 % sont HPV+ (HPV 16 dans 73 % des cas).
Le cancer du pénis est rare dans les pays développés (0,1 à 1,5/100 000) mais son incidence augmente en Europe. L’âge moyen au diagnostic est de 65 ans(1,6). Deux voies de carcinogenèse sont possibles : phimosis, lichen scléreux, inflammation chronique ; et l’infection HPV (90 % des lésions de haut grade sont HPV+ à HPV 16 dans 70 % des cas).
Le cancer de l’anus est aussi un cancer HPV-induit (principalement HPV 16) dans 80-90 % des cas, majoritairement féminin et en forte progression(6,7). Il ne bénéficie pas d’un dépistage et nécessite des traitements lourds, avec des séquelles majeures. Le taux de récidive après traitement est de 53-60 % après traitement physique, 25-80 % après traitement chimique. Seuls les patients VIH+ homosexuels ou ayant un antécédent de dysplasie ano-génitale sont dépistés par anuscopie.
Progression des cancers de l’oropharynx
Environ 15 000 cancers des voies aérodigestives supérieures sont dénombrés par an en France, dont 72 % chez les hommes. La plupart sont encore liés à une intoxication alcoolo-tabagique mais la part des cancers liés aux HPV est en augmentation. Plus l’incidence du tabagisme diminue, plus l’incidence des cancers HPV induits augmente : environ 1 700 cas par an en France(3,6).
Ces cancers concernent l’oropharynx presque exclusivement : amygdales palatines, base de la langue. En France, la contribution des HPV est estimée à 38 % environ (principalement HPV 16). Contrairement au cancer du col, les cancers de l’oropharynx ne sont pas précédés de lésions précancéreuses ; il n’y a donc pas de dépistage et le diagnostic est fait à un stade avancé de la maladie.
L’incidence des cancers de l’oropharynx continue d’augmenter de 2,7 %/an chez les hommes et 0,8 %/an chez les femmes, alors que les cancers du col ont tendance à diminuer grâce au dépistage aux États-Unis. Elle va bientôt dépasser celle des cancers du col utérin en Amérique du Nord comme au Danemark(8,9).
La principale difficulté est l’errance diagnostique chez des patients sans facteurs de risque identifiés, souvent relativement jeunes, présentant des symptômes ORL banals, persistants et trompeurs (telle une masse cervicale d’allure kystique, une douleur traînante irradiant vers l’oreille), souvent moins douloureux que les cancers liés au tabac. En outre, il n’existe pas de dépistage des lésions précancéreuses. Les traitements sont encore lourds (chirurgie puis radiothérapie ou radio-chimiothérapie). Cependant, le pronostic des cancers de l’oropharynx HPV induits est meilleur en l’absence de tabagisme associé (> 90 % guérison).
La papillomatose respiratoire récurrente est une maladie rare liée aux HPV 6 et 11, formant des lésions bourgeonnantes des cordes vocales, qui peut se développer chez de jeunes enfants (avant 5 ans)(10). L’obstruction des voies aériennes de l’enfant requiert un traitement urgent. Chez l’adulte, la papillomatose débute vers 20-40 ans, entraînant une dysphonie majoritairement. Elle est liée à un HPV à bas risque et ne comporte pas de risque de cancer. Cette maladie virale peut nécessiter des traitements itératifs par laser ; avec la répétition des séances d’éradication, les cordes vocales et le larynx vont s’atrophier, pour aboutir à un larynx dysfonctionnel.
Vaccination HPV : des preuves d’efficacité en vie réelle(1)
Depuis 2020, la vaccination HPV est recommandée chez les garçons comme chez les filles, au même âge(10). En vaccinant les garçons, on va non seulement mieux protéger les filles, mais aussi éviter qu’ils ne s’infectent et développent un cancer HPV-induit qui n’est pas accessible à un dépistage de routine*.
Quand la vaccination a été introduite nous savions qu’elle diminue le risque d’infection à HPV oncogène et de lésions précancéreuses du col, mais sans preuve clinique de sa capacité à prévenir le cancer du col. Aujourd’hui, nous disposons de preuves d’efficacité en vie réelle.
*La vaccination HPV vise à prévenir les lésions précancéreuses et/ou cancéreuses du col de l’utérus, de la vulve, du vagin et de l’anus dues à certains types de HPV oncogènes.
En Australie, par exemple, depuis l’introduction de la vaccination des filles en 2007, les infections à HPV couvertes par la vaccination ont quasiment disparu(11). Au Danemark et en Suède, les lésions précancéreuses ont diminué de 73 et 75 % respectivement(12,13). Par ailleurs, les données du registre suédois montrent que l’incidence cumulée des cancers du col est nettement plus basse chez les sujets vaccinés avant 17 ans comparativement aux sujets vaccinés entre 17 et 30 ans (0,10 vs 3,02/100 000 personnes-années)(14), ce qui justifie de vacciner tôt.
En vaccinant 130 filles, on évite 1 cancer du col ; en en vaccinant 17, on évite 1 CIN1/2 (INFOVAC France).
Les Français sont réticents à la vaccination, essentiellement par peur des maladies auto-immunes, alors que leur innocuité est largement démontrée. De tout l’espace européen, c’est en France que les couvertures vaccinales sont les plus basses. De près de 40 % en 2009, la couverture vaccinale est tombée à 20 % en 2014 avec une remontée récente. Au 22 novembre 2020, l’enquête EPI-PHARE montrait cependant un solde négatif de 230 000 délivrances vaccinales, lié aux difficultés engendrées par l’épidémie COVID-19.
Pourtant, la France a été l’un des premiers pays à recommander la vaccination en 2007, mais la recommandation était restrictive (à partir de 14 ans, pas de rapport sexuel, etc.). En 2011, la recommandation visant à vacciner toutes les filles de 11 à 19 ans a marqué un certain progrès mais n’a pas eu le succès escompté ; en 2016 la recommandation a été élargie à une partie des garçons, puis en 2020 à tous les garçons aux mêmes âges que les filles. La pandémie de COVID-19 sera peut-être un booster pour ces vaccins ; la confiance des mères est en train d’augmenter. Les médecins, en particulier les généralistes, jouent un rôle majeur à cet égard.
D’après une émission e-Direct « Papillomavirus et cancers : hommes, femmes, tous concernés », organisée début mars
avec Hélène BORNE, gynécologue (Paris), Erwan DE MONÈS DEL PUJOL, Unité de chirurgie cervicale, cancérologie et laryngologie, CHU de Bordeaux, Stéphane FOULON, médecin généraliste (Amiens), modérée par Robert COHEN, pédiatre (Saint-Maur-des-Fossés)
avec le soutien de MSD
Découvrez également les réponses des experts aux questions posées pendant cette émission
LIRE LES QUESTIONS/RÉPONSES >>
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