Cancérologie
Publié le 01 sep 2021Lecture 11 min
Cancer du col : turbulences sur la désescalade thérapeutique
Daniel ROTTEN, Hôpital Delafontaine, Saint-Denis
Qu’il s’agisse du col, de l’endomètre ou des ovaires, le traitement chirurgical des cancers invasifs pelviens à un stade limité, c’est-à-dire n’ayant pas dépassé les organes génitaux internes, repose sur une hystérectomie totale avec annexectomie bilatérale. En fonction de la localisation, du stade ou du grade histologique, l’hystérectomie sera simple ou radicale, et l’exérèse élargie au vagin, à l’épiploon ou aux chaînes lymphatiques pelviennes ou lombo-aortiques.
Dans le sillage du courant less is more, on observe que la voie d’exérèse laparoscopique, réputée grevée d’une morbidité moindre, supplante progressivement la laparotomie. Cette tendance est confirmée par les différents registres administratifs qui répertorient les actes médicaux réalisés par les équipes médicales.
La légitimité de cette évolution mérite d’être évaluée : le bénéfice en termes de morbidité est-il réel ? L’efficacité carcinologique est-elle maintenue ? C’est ce qui a été fait dans plusieurs publications récentes. On verra ci-après que les résultats sont parfois inattendus.
Cancer du col
Il est habituellement admis que voie laparoscopique et laparotomie ont la même efficacité carcinologique (taux de récidives, survie). Mais la qualité méthodologique des publications sur lesquelles sont basées ces conclusions est discutée, principalement du fait d’effectifs faibles et/ou d’un recul limité. Deux études récentes se sont données pour objectif de faire le point sur la question. Toutes deux sont publiées dans un même numéro du New England Journal of Medicine. Elles ont été réalisées selon des approches méthodologiques différentes, à savoir un essai randomisé contrôlé d’une part, des études rétrospectives de cohorte d’autre part.
L’essai randomisé LACC
La première étude, intitulée Laparoscopic Approach to Cervical Cancer trial (LACC), est un essai randomisé, multicentrique, international (33 centres participants), qui a été réalisé sous la direction de P.T. Ramirez et coll.(1). Les détails méthodologiques sont présentés dans l’encadré 1.
L’analyse porte sur 631 patientes. Leur âge moyen est de 46 ans. L’immense majorité des lésions (91,9 %) est classée I B1 ; 297 (51,8 %) patientes ont bénéficié d’une intervention par laparoscopie (simple dans 84,4 % des cas, assistée par robot dans 15,6 % des cas) ; 276 (48,2 %) ont eu une laparotomie. Les deux groupes présentent des paramètres démographiques et des caractéristiques tumorales semblables (type de lésion, extension, traitements adjuvants, etc.). Il y a eu au total 10 laparoconversions (3,5 %). La durée médiane d’hospitalisation a été de 3 jours dans le groupe chirurgie laparoscopique (extrêmes : 0-72) et de 5 jours dans le groupe laparotomies (extrêmes : 0-69). La survie sans récidive à 4,5 ans est plus basse dans le groupe chirurgie par voie laparoscopique, ce qui oblige à écarter l’hypothèse de non-infériorité de la voie laparoscopique (tableau 1, figures 1 et 2).
Tous les autres paramètres carcinologiques analysés (survie sans récidive à 3 ans, survie globale, décès par cancer, récidives locorégionales, survie sans récidive locorégionale à 3 ans) montrent également un désavantage aux dépens de la chirurgie laparoscopique (tableau 1). Il n’y a pas de différence de résultat entre les 244 patientes ayant eu une laparoscopie simple et les 45 patientes qui ont bénéficié d’une laparoscopie robot-assistée. À la demande du comité de monitorage de l’étude, les inclusions ont été prématurément interrompues du fait du désavantage trop important observé dans le bras chirurgie par voie laparoscopique (631 patientes incluses sur un nombre de 740 prévues).
Les études rétrospectives sur registre
A. Melamed et coll. ont réalisé des analyses rétrospectives sur données obtenues à partir de registres(2). Les détails méthodologiques sont présentés dans l’encadré 2.
La première analyse s’appuie sur le registre National Cancer Database. Elle inclut 2 461 patientes. Dans leur immense majorité (88,4 %), les lésions présentées par les patientes sont classées I B1, 1 225 patientes (49,8 %) ont bénéficié d’une intervention par voie laparoscopique (simple dans 20,2 % des cas, robot-assistée dans 79,8 % des cas) ; 1 236 patientes (50,2 %) ont eu une laparotomie ; il y a eu 35 laparoconversions (2,9 %).
Les deux groupes présentent des paramètres démographiques statistiquement différents. Dans le groupe chirurgie par voie laparoscopique, il y plus de patientes caucasiennes ; elles sont plus jeunes, habitent une zone d’habitat aisé, ont une assurance privée et ont été traitées dans un hôpital non universitaire. Les deux groupes diffèrent également par les caractéristiques tumorales. Dans le groupe chirurgie par voie laparoscopique, il y a plus de patientes dont le diagnostic a été porté plus récemment, les lésions sont de plus petite taille et de plus bas grade.Ces différences ont été pondérées par les scores de propension.
Le taux de patientes ayant bénéficié d‘une radiothérapie ou d’une chimiothérapie adjuvante est comparable entre les deux groupes.
Les résultats histopathologiques ne diffèrent pas entre les deux groupes (nombre de ganglions prélevés, taux d’invasion paramétriale, marges envahies, nombre de ganglions envahis, extension au tissu vasculolymphatique). La mortalité globale à 4 ans est statistiquement supérieure dans le groupe chirurgie par voie laparoscopique (tableau 2).
On peut noter que la taille tumorale influe sur le résultat. Pour les lésions de taille < 2 cm, il n’y a pas de différence de survie à 4 ans entre intervention par voie laparoscopique ou par laparotomie (hazard ratio pour la mortalité : 1,50 ; IC95 % : 0,97-2,31). Une différence existe par contre pour les lésions de taille ≥ 2 cm, en défaveur de la chirurgie par voie laparoscopique (HR : 1,66 ; IC95 % : 1,19-2,30).
L’analyse du registre SEER aboutit à des résultats concordants. Pendant la période 2000- 2006, la survie à 4 ans est pratiquement constante, autour de 93 %. Entre 2006 et 2010, on observe une explosion du pourcentage d’hystérectomies radicales réalisées par voie laparoscopique. Les taux de survie à 4 ans déclinent en miroir, avec une baisse annuelle de 0,8 % par an (p = 0,01).
D’après l’analyse de ces deux registres, la survie à 4 ans des patientes ayant un cancer du col à un stade précoce est donc moins bonne lorsque l’hystérectomie radicale est pratiquée par voie laparoscopique, en comparaison du traitement par laparotomie. Bien entendu, s’agissant d’une analyse de registre, le risque de biais est élevé. Mais deux points renforcent les constations faites par les auteurs de l’étude. Les données ont été soumises à une technique statistique élaborée pour équilibrer les cofacteurs. De plus, alors que les patientes du groupe chirurgie par voie laparoscopique sont celles chez qui on trouve les facteurs de risque de meilleur pronostic (âge, taille et grade des lésions, facteurs socio-économiques, etc.), c’est pourtant chez elles qu’on observe la survie à 4 ans la plus basse.
Discussion
Ces résultats sont inattendus. Deux métaanalyses avaient précédemment montré que durée de survie sans récidive, taux de récidive et survie globale ne paraissaient pas différer en fonction de la voie d’abord.
Mais les études incluses dans les métaanalyses sont généralement rétrospectives, avec un décalage historique entre les intervenions par voie abdominale, les plus anciennes, et les intervenions par voie laparoscopique, plus récentes.
Or, indications opératoires et traitements adjuvants ont été hautement variables avec le temps. Dans la plupart des cas également, le recul carcinologique pris en compte est insuffisant.
• Compétence chirurgicale des opérateurs
Elle ne semble pas en cause. Ainsi, dans l’essai de P.T. Ramirez et coll., les centres participants ont été sélectionnés avec des critères stricts : débit opératoire élevé, chirurgiens aguerris (les chirurgiens ont envoyé des vidéocassettes d’interventions non montées). Le résultat global atteste de la qualité de la prise en charge. Les taux de ganglions prélevés et de marges envahies sont comparables entre les deux approches. Une question reste néanmoins posée : la meilleure traction sur l’utérus par laparotomie permettrait-elle une résection plus large au niveau des ligaments utéro-sacrés et des paramètres ?
• Quid de l’assistance par robot ?
S.S. Zhang et coll. ont fait une métaanalyse à partir de 13 études non randomisées mais considérées par ses auteurs comme de bonne qualité méthodologique(3). Elle inclut 2 197 patientes, soit environ 40 % d’intervenions par laparotomie, 20 % par voie laparoscopique simple et 40 % par lapa roscopie robot-assistée. On retrouve ici la différence précédemment observée entre voie laparoscopique simple et laparotomie. Lorsqu’elle est réalisée par laparoscopie robot-assistée, l’hystérectomie radicale avec curage ganglionnaire est grevée de moins de complications peropératoires et d’une perte sanguine moindre. La durée de séjour hospitalier est plus courte. Il n’y a pas de différence entre les deux modalités concernant les autres paramètres de complications à court terme.
Mais, du fait de la petite taille et de la disparité des séries, ainsi que du manque de recul, aucune conclusion n’est possible concernant les paramètres carcinologiques.
• Spécificités de la voie laparoscopique
Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer les moins bonnes performances carcinologiques de la voie laparoscopique.
Un risque de dissémination de cellules tumorales autour des manipulateurs endo-utérins ou lors du passage transvaginal de l’utérus pourrait être à l’origine de la dispersion de cellules tumorales. Également, le gaz carbonique utilisé pour créer le pneumopéritoine a aussi pu être suspecté de favoriser les récidives tumorales. Les données sur ces points sont très discutées, d’autant qu’on ne retrouve pas l’effet dans les autres localisations, comme on le verra ci-après.
Cancer de l’endomètre
Selon les consensus actuels, l’intervention chirurgicale d’exérèse standard pour les cancers de l’endomètre aux stades précoces est l’hystérectomie totale simple avec annexectomie bilatérale. Les curages ganglionnaires pelviens et/ou lombo-aoriques sont réalisés en cas de risque élevé de rechute pour évaluer plus précisément le stade évolutif et ajuster les traitements complémentaires. Quatre métaanalyses destinées à évaluer la pertinence de l’utilisation de la voie laparoscopique, se sont succédé en quelques années. La dernière, faite par R. Asher et coll. a synthétisé les données recueillies chez 4 405 patientes (2 680 opérées par voie laparoscopique et 1 725 opérées par laparotomie)(4).
• Paramètres de sécurité.
La métaanalyse montre que le taux de complications intra-opératoires est identique pour les deux modalités. Le taux de laparoconversions est proche de 10 %. Le taux de complications post - opératoires sévères est significativement plus faible après hystérectomie assistée par laparoscopie (différence en faveur de la voie laparoscopique : -6,8 % ; IC95 % : -9,2 à -4,5 %). La chirurgie par laparoscopie nécessite une durée d’intervention plus longue, mais le séjour hospitalier est plus bref. Enfin, au délai de 6 mois, la qualité de vie est identique avec les deux modalités.
• Paramètres carcinologiques.
Les différentes études sont concordantes. Les deux modalités opératoires sont équivalentes. La qualité de l’exérèse est comparable (lorsqu’il y a un curage lymphatique, le nombre de ganglions pelviens ou lombo-aoriques prélevés n’est pas différent). À 3 ans, il n’y a pas de différence des taux de survie globale, de survie sans récidive et de récidive tumorale. Ces données sont confirmées par une analyse de non-infériorité (5 publications, 3 741 patientes évaluées) (tableau 3, figures 1 et 3).
Concernant les paramètres carcinologiques, la voie laparoscopique n’est donc pas inférieure à la laparotomie. Avantage donc à la voie laparoscopique.
Cancer de l’ovaire
La prise en charge chirurgicale initiale des cancers épithéliaux de l’ovaire dans leurs formes limitées (stades I-IIa FIGO) repose sur une stadification optimale. Outre une chirurgie d’exérèse, qui comporte généralement une hystérectomie totale avec annexectomie bilatérale, la stadification inclut l’analyse histologique de l’épiploon, des ganglions pelviens et lomboaoriques, de l’appendice ainsi qu’une cytologie et des biopsies péritonéales. À la suite de D. Querleu et E. Leblanc (1994), la chirurgie mini-invasive détrône progressivement la laparotomie. Est-ce légitime ? F.S. Falceta et coll. ont réalisé en 2016, au titre de la Cochrane Collaboraion, une revue de la littérature comparant voie d’abord laparoscopique et laparotomie(5). Outre les paramètres oncologiques, F.S. Falceta et coll. proposent une liste de points à prendre en considération (tableau 4).
À la date de la publication, aucun essai randomisé contrôlé n’avait pu être identifié. C’est toujours le cas à ce jour. Les résultats reposent donc sur des séries rétrospectives avec, comme précédemment, de nombreux biais possibles : biais de sélection des patientes non compensés par un ajustement statistique, non-prise en compte du stade exact et du grade tumoral, expertise des opérateurs variable, durée du suivi parfois courte… Sous ces réserves majeures, voici les principaux résultats rapportés.
• Faisabilité. Nombre de ganglions pelviens et lombo-aoriques prélevés comparable, pas de différence du volume de tissu épiploïque prélevé. Pas de différence de taux de rupture ou de fuite de liquide kystique peropératoire, voire taux supérieur par laparotomie. Durée opératoire comparée très variable, reflet en réalité de l’expérience des opérateurs.
• Sécurité. Complications peropératoires et postopératoires sont observées avec les deux approches. La survenue de métastases au niveau des ports d’insertion est très rare et plutôt le fait des intervenions pour stades avancés. Avec la voie laparoscopique, la perte sanguine estimée est généralement plus faible.
• Suites opératoires. Durée de séjour hospitalier plus faible et récupération plus rapide avec la voie laparoscopique, permettant une initiation plus précoce de la chimiothérapie.
• Survie. Pas de différence retrouvée en termes de survie globale et de survie sans récidive.
En conclusion, on ne relève pas de différence importante entre les deux voies d’abord, avec probablement un avantage à la voie laparoscopique sur quelques points, comme la perte sanguine, le taux de complications et les suites postopératoires immédiates. Il n’y a aucun indice qu’il y ait un désavantage carcinologique à la voie laparoscopique. Mais les données disponibles sont disparates et de qualité médiocre. Elles ne permettent pas de conclusion définitive.
Quelle attitude adopter en pratique ?
Cela revient à poser la question : is less really more ? Concernant les cancers de l’endomètre et des ovaires à un stade limité, peu de discussion : la voie laparoscopique permet une réduction de la morbidité péri-opératoire tout en conservant la même efficacité carcinologique. Ce n’est pas le cas pour les cancers du col.
Même si le résultat des études récemment publiées est contre-intuitif, leur qualité est difficile à mettre en doute. En attendant des études complémentaires, que proposer ? Faut-il abandonner la voie laparoscopique malgré le bénéfice qu’elle apporte en termes de morbidité péri-opératoire ? C’est l’attitude qui a été adoptée dans plusieurs centres de référence. Ailleurs, l’attitude est plus nuancée. Pour les tumeurs de taille < 2 cm, pour lesquelles il n’a pas été mis en évidence de différence de pronostic, la balance penche nettement vers la voie laparoscopique. Pour les lésions de plus grande taille, le choix se fait en accord avec les patientes, en mettant en balance avec elles bénéfice à court terme versus perte de chance carcinologique.
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