Cancérologie
Publié le 04 oct 2021Lecture 9 min
Diagnostic des tumeurs de la granulosa
H. VANACKER, C. LENCK, L. MBENGUE, N. CHOPIN, I. RAY-COQUARD, Centre Léon Bérard, Lyon
L’oncologie gynécologique a cette particularité que les tumeurs « rares » y sont fréquentes et englobent de nombreux types tumoraux. Il est donc essentiel pour le clinicien de connaître les principales caractéristiques diagnostiques et de prise en charge, et d’en référer aux réseaux appropriés.
Les tumeurs de la granulosa sont les plus fréquentes des tumeurs malignes rares de l’ovaire. Elles peuvent survenir à tout âge, avec une médiane de 51 ans au diagnostic. Elles sont hormonosécrétantes, possiblement associées à des symptômes d’hyperestrogénisme et à la sécrétion d’AMH et d’inhibine.
Dans 70 % des cas, elles se présentent sous forme d’une masse annexielle localisée unilatérale, de stade FIGO IA et relèvent alors d’un traitement chirurgical exclusif, en un ou deux temps, qui doit absolument éviter la rupture tumorale et comporter au minimum une annexectomie totale et une chirurgie de stadification avec des prélèvements péritonéaux multiples et une omentectomie infracolique, ainsi qu’une analyse de l’endomètre pour éliminer une hyperplasie, voire un carcinome endométrial. En dépit d’une évolution naturelle lente, la rechute ou le diagnostic à un stade plus avancé peuvent être péjoratifs. Les stades avancés sont traités par chimiothérapie à base de platine, ou d’hormonothérapie.
Comme pour toute tumeur rare ovarienne, la découverte ou la suspicion de tumeur du stroma et des cordons sexuels doit faire consulter le réseau des Tumeurs malignes rares de l’ovaire (réseau TMRO, site www.ovaire-rare.org). Cela permet de déclarer le cas, de faire relire le diagnostic et d’avoir accès aux arbres décisionnels de prise en charge. Les dossiers sont revus et discutés par les experts de ces tumeurs rares.
Le suivi de ces patientes en rémission est simple, mais doit être prolongé, du fait du risque de rechute — parfois différée de plusieurs décennies.
Epidémiologie et classification
Les tumeurs de la granulosa représentent 3 à 5 % des tumeurs malignes de l’ovaire. Leur incidence annuelle est estimée à 2,1/1 000 000 femmes (Gatta et coll. 2011), soit environ 150 nouveaux cas par an en France.
Elles appartiennent aux tumeurs non épithéliales, mais sont issues des cellules du stroma de soutien et/ou des cordons sexuels. Les tumeurs de la granulosa dérivent plus particulièrement des cellules granuleuses et de la thèque interne, qui enveloppent et stimulent les follicules en maturation (figure 1).
Dans les classifications anatomopathologiques (OMS 2014), les tumeurs de la granulosa appartiennent ainsi au groupe non épithélial des « tumeurs du mésenchyme et des cordons sexuels » (figure 2).
On distingue principalement :
– les tumeurs de la granulosa classiques de type « adulte » : ces tumeurs surviennent principalement chez la femme adulte, sans pic d’incidence, sinon une légère prédominance chez les femmes en péri- ou postménopause, soit un âge médian de 51 ans ; (Oseledchyk et coll. 2018) ;
– les tumeurs de la granulosa de type « juvénile », beaucoup plus rares (moins de 5 % des cas de tumeur de la granulosa).
Malgré leur dénomination commune, ces formes juvéniles se distinguent des tumeurs de la granulosa « adultes », par des caractéristiques anatomopathologiques, un développement plus précoce, chez l’adolescente et la femme jeune
— posant les problématiques de préservation de la fertilité ;
– les tumeurs à cellules de Sertoli, ou de type SertoliLeydig, elles aussi de diagnostic plus précoce, globalement bénignes ;
– les tumeurs mixtes, et les catégories plus rares de tu meurs du stroma gonadique, et les tumeurs à cellules stéroïdales, pures, ou mixtes.
Physiopathogénie
À l’état physiologique, les cellules de la granulosa se développent à partir du stroma et des cordons sexuels (figure 3), et contribuent à la folliculogenèse.
En effet, seules cellules à avoir des récepteurs à l’hormone folliculostimulante (FSH), elles secrètent de l’hormone antimüllérienne (AMH), de l’inhibine et des estrogènes par aromatisation des androgènes sécrétées par la thèque. Elles ont en outre un effet mitogène sur les cellules du follicule. L’inhibine et les estrogènes ont ensuite un rétrocontrôle négatif sur la FSH ; les cellules de la granulosa sécrètent dans un second temps de la folliculostatine, ce qui régule le cycle. La physiopathogénie des tumeurs est encore mal connue, car aucun facteur de risque n’a été identifié. La découverte de la mutation du facteur de transcription FOXL2 (Forkhead box protein L2), souvent isolée dans un environnement génomique stable, explique quant à elle l’oncogenèse et les symptômes des tumeurs de la granulosa adulte. FOXL2 est nécessaire à la folliculogenèse, et s’associe à différents partenaires pour réguler la transcription de voies impliquées dans la différenciation, la prolifération, l’apoptose et la stéroïdogenèse (Färkkilä et coll. 2017). La mutation faux-sens de FOXL2 dérégule ces voies en faveur d’une diminution des voies de l’apoptose et d’une augmentation de la prolifération et de la production d’hormones.
Présentation clinique
La majorité des tumeurs de la granulosa sont diagnostiquées à un stade précoce lors d’une exérèse de masse ovarienne d’allure bénigne. Leur présentation clinique est variable, avec trois profils de découverte :
– des symptômes fonctionnels hyperestrogéniques, particuliers à ces tumeurs ovariennes hormonosécrétantes. Une minorité de patientes consulte pour des signes d’hyperestrogénie clinique patente (pseudo puberté précoce chez les jeunes patientes, infertilité, aménorrhée ou ménométrorragies chez les patientes non ménopausées et métrorragies post-ménopausiques) ; pourtant en l’absence de plainte, l’interrogatoire retrouve parfois un tableau paucisymptomatique (tension mammaire) banalisé. À noter que de plus rares syndromes d’hyperandrogénisme peuvent survenir dans les tumeurs des cordons sexuels, en particulier de type de Sertoli-Leydig ;
– le bilan d’un syndrome de masse pelvienne accompagné de pesanteur/douleurs abdomino-pelviennes (ce d’autant qu’elles sont volumineuses) voire une rupture de kyste ou un kyste hémorragique ;
– la découverte fortuite de tumeurs asymptomatiques parfois volumineuses est très fréquente.
Histoire naturelle et pronostic
L’histoire naturelle des tumeurs de la granulosa est plus lente, moins agressive que celle des tumeurs épithéliales de l’ovaire.
De ce fait, leur pronostic est variable : une chirurgie complète permet d’obtenir la guérison de la majorité des patientes atteintes de tumeurs localisées à l’ovaire. Au contraire, l’évolution peut être péjorative, voire fatale, dans les stades évolués localement, métastatiques. Ces stades avancés peuvent être inauguraux ou survenir lors de la rechute qui concerne environ 20 % des cas, y compris plusieurs décennies après la prise en charge initiale. Les facteurs pronostiques sont essentiels pour évaluer le risque de rechute et ajuster la prise en charge des patients ; la connaissance de ces tumeurs rares est souvent limitée par la petite taille des cohortes rapportées. Depuis quelques années seulement, de plus larges bases de données ont permis de confirmer les facteurs pronostiques suivants (Seagle et coll. 2017 ; Sakr et coll. 2017) :
– le stade FIGO 2014 (stades de la Fédération internationale de gynécologie-obstétrique) (Prat et FIGO Committee dans Gynecologic Oncology 2014) ;
– en cas de stade I,
• l’absence de stadification complète initiale est péjorative ;
• la rupture intrapéritonéale (stade IC) per- ou préopératoire (respectivement stade IC1 et IC2), ou une cytologie péritonéale positive (stade IC3) ;
• la taille tumorale ;
– dans une moindre mesure l’âge, les comorbidités et le haut grade tumoral étaient associés au risque de décès.
Enjeux diagnostiques
Bilan préopératoire
Les enjeux diagnostiques sont ceux de la découverte d’une masse ovarienne dans la mesure où le diagnostic est rarement suspecté avant l’analyse anatomopathologique. La démarche consiste à éliminer un kyste fonctionnel chez la femme non ménopausée, puis à discerner les caractéristiques de bénignité ou malignité.
Imagerie
Les tumeurs de la granulosa ont une variabilité morphologique qui rend le diagnostic difficile, facilement inclassé aux examens de débrouillage. Elles présentent un aspect typiquement kystique ou solido-kystique multiloculaire, et sont volontiers hypervasculaires, souvent volumineuses (taille médiane de 15 cm dans certaines séries). Elles peuvent prendre l’aspect de kystes chez la femme ménopausée. Elles se différencient des tumeurs épithéliales malignes par l’absence de végétations et la découverte souvent à un stade plus précoce (absence d’ascite et d’implants péritonéaux de carcinose).
• L’échographie est l’examen de première intention réalisé lors de la découverte d’une masse annexielle chez la femme. Les critères IOTA illustrés (tableau), regroupent des signes échographiques uni/multiloculaires et de consistance permettant de classer ces masses annexielles en probablement bénignes et à risque de malignité, en se fondant sur des critères de locularité (uni/multi) et de consistance (solide/liquide), la présence d’ascite et de vascularisation.
Ces critères sont classés plutôt bénins (B) ou malins (M) et, en l’absence de critères exclusivement bénins, ou si des critères péjoratifs sont observés en échographie, une IRM est réalisée.
• À l’IRM pelvienne, il n’y a pas d’aspect spécifique et la littérature radiologique décrit traditionnellement une masse annexielle unilatérale, soit kystique multiloculaire « en éponge », soit solido-kystique avec une composante solide en signal intermédiaire en T2 et avec des logettes liquidiennes, séparées par des septas épais. De plus, il existe parfois une composante hémorragique, mais qui est non spécifique (Kim et Kim 2002 ; Millet et coll. 2011).
• Le scanner thoraco-abdomino-pelvien fait partie du bilan d’extension. C’est un mauvais examen pour caractériser les tumeurs ovariennes, mais il permet le bilan d’extension à distance, afin d’éliminer la présence d’adénomégalie, de lésion de carcinose ou d’atteinte hépatique. Il peut être réalisé après la chirurgie première lorsque le bilan initial ne s’orientait pas vers une étiologie maligne.
Marqueurs biologiques
La suspicion d’une tumeur maligne de l’ovaire fait souvent réaliser un dosage du CA125, qui n’a pas de sensibilité ni surtout de spécificité dans les tumeurs de la granulosa. En revanche, les cellules de la granulosa sécrètent plusieurs hormones plus spécifiques, telles l’inhibine B et l’AMH. Au contraire, en cas de signes de virilisation faisant suspecter une tumeur de Sertoli-Leydig, on demandera un dosage de Δ4 androstènedione et de testostérone.
Diagnostic anatomopathologique
Le caractère incertain de ce premier bilan d’imagerie doit conduire à l’exploration chirurgicale et à l’analyse anatomopathologique. Nous verrons plus loin que ce premier temps chirurgical est déterminant à la fois comme bilan d’extension et staging.
Sur le plan macroscopique, ces tumeurs sont généralement unilatérales, volontiers volumineuses, solido-kystiques, de couleur grise, blanche ou jaunâtre, comportant des cavités remplies de sang.
L’aspect microscopique note de petites cellules ovales uniformes avec des rainures nucléaires dites « noyau en grain de café », pouvant s’organiser en rosette autour de corps éosinophiliques de lamina et sécrétions, formant les « corps de Call-Exner » pathognomoniques, mais inconstants. L’agencement cellulaire peut être de type micro- ou macro-folliculaire, modèle trabéculaire, insulaire ou gyriforme. Les tumeurs juvéniles ne présentent pas de corps de Call-Exner et sont plus fréquemment lutéinisées.
Les marqueurs immuno-histochimiques exprimés par ces tumeurs sont la vimentine, la calrétinine et l’alpha-inhibine (hétérogène) ; les cytokératines et les récepteurs hormonaux (progestatifs plutôt qu’estrogéniques) sont inconstants.
La biologie moléculaire vient confirmer le diagnostic :
• les tumeurs de la granulosa de type adulte portent une mutation ponctuelle FOXL2 402C-G, qui doit être recherchée dans les centres experts. Présente dans 98 % des cas, son absence remet en question le diagnostic de granulosa adulte ;
• dans les tumeurs de la granulosa de type juvénile, une mutation du gène DICER-1 doit être recherchée, spécifique des granulosa juvéniles ou des tumeurs de Sertoli Leydig. La présence de mutation de DICER-1 confirme le diagnostic et doit faire dépister une éventuelle anomalie germinale, qui prédispose au syndrome de susceptibilité familiale, au blastome pleuropulmonaire, aux tumeurs des cordons sexuels et aux goitres multinodulaires, avec une pénétrance très variable.
Les diagnostics différentiels sont multiples : carcinomes indifférenciés, adénocarcinomes peu différenciés (primitifs ou métastases ovariennes) ou éventuellement les tumeurs carcinoïdes, le carcinome endométrioïde et le sarcome stromal.
La relecture par un pathologiste expert est impérative (www.ovaire-rare.org) pour confirmer, préciser ou éventuellement reclasser le diagnostic de ces tumeurs rares. Cette relecture redresse le diagnostic dans environ 20 % des cas (Maillet et coll. 2014). Or, toute erreur diagnostique modifie considérablement la prise en charge de ces patientes. Ces centres experts vont également rechercher la mutation C134W de l’exon 1 de FOXL2.
Dans le prochain numéro, nous traiterons de la prise en charge des tumeurs de la granulosa.
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