Publié le 06 déc 2018Lecture 7 min
THM et effet durée ? Cancers du sein, de l'ovaire et de l'endomètre
Marc ESPIÉ, Sénopôle Saint-Louis AP-HP, Université Paris-Diderot
En cours de traitement hormonal de la ménopause, il existe un risque accru de diagnostiquer un cancer du sein ou un cancer des ovaires avec certains traitements estroprogestaifs, alors que le risque de cancer de l’endomètre est plutôt diminué. Une barre à 5 ans de traitement a été proposée en raison d’un hypothétique effet durée. Celui-ci ne semble pas clairement démontré et la logique est plutôt de poursuivre le THM tant que la femme en a besoin.
Cancer du sein
Il existe de nombreuses difficultés pour mettre en évidence un effet duré lié au traitement hormonal de la ménopause dans le risque de survenue d’un cancer du sein. La première est liée au fait que le risque de cancer du sein augmente avec l’âge et ce, indépendamment de la durée du THM ; l’effet promoteur du THM est donc d’autant plus important que les femmes prennent de l’âge. Les femmes sous THM n’ont pas la même surveillance clinique et radiologique que les autres. Elles auront davantage d’examens cliniques et de mammographies, d’où un biais de dépistage. Les radiologues vont rechercher avec encore plus de sagacité une anomalie éventuelle, ce d’autant que les seins seront plus denses en raison du THM. Le suivi des gynécologues sera accru. Enfin, de nombreuses données sont manquantes dans la littérature, responsables d’effets confondants. Les données des publications sont souvent contradictoires et parfois incohérentes.
• La métaanalyse de 1997
Elle a regroupé 51 études, soit 90 % des études publiées à cette date, concernant 52 705 femmes pré- et post-ménopausées atteintes d’un cancer du sein et 108 411 témoins. Pour le THM, l’analyse a porté sur les femmes ménopausées soit 17 949 cas (34 %) et 35 916 témoins (33 %).
Un risque relatif (RR) = 1,14 a été mis en évidence (sans ajustements RR : 0,84). Ce risque était différent en fonction du type des études : non significatif pour les études prospectives (RR = 1,09, NS) ; significatif dans les études cas-témoins avec des différences selon le type de population témoin utilisée (études cas-témoins [hôpital] : 1,27 ; études cas/témoins [voisinage] : 1,15). Concernant l’effet durée, l’augmentation du risque ne devient nette que pour ≥ 15 ans d’utilisation : < 1 an : 0,99 ; 1-4 ans : 1,09 ; 5-9 ans : 1,05 ; 10-14 ans : 1,19 ; ≥ 15 ans : 1,58 avec cependant un petit p significatif pour la tendance (trend p = 0,003)(1). Shapiro a repris cette métaanalyse et souligne le rôle des données manquantes concernant des facteurs de risque connus tels que l’alcool, l’âge lors de la première grossesse, la parité, l’indice de masse corporelle, les antécédents familiaux, etc., dans 30 à 60 % des cas, rendant l’interprétation des résultats problématique(2). Il faut noter que dans cette métaanalyse, il n’a pas été mis en évidence d’effet-dose. L’effet durée n’est pas linéaire, les intervalles de confiance se chevauchent, ce qui ne permet pas de conclure que l’augmentation du risque est de 2,3 % par année d’utilisation. Par ailleurs, dans cette métaanalyse, 80 % des traitements sont à base d’estrogènes équins seuls (ECE). Ces résultats sont donc en contradiction avec les résultats du bras ECE seuls de l’essai randomisé WHI qui montre une réduction de la survenue des cancers du sein qui augmente avec le temps !
• Essai WHI E + P
Cet essai randomisé montre une augmentation du risque de développer un cancer du sein sous cette association estroprogestaive. En fonction des publications, elle n’est pas toujours statistiquement significative et ne l’est pas si on ne prend pas en compte les femmes traitées antérieurement à l’étude(3-5). Qu’en est-il de l’effet durée ? Pendant les deux premières années de suivi, on observe une diminution du risque (RR < 1), puis à 5 ans le risque augmente (RR = 2,64) ; ensuite, on constate une décroissance pour ≥ 6 ans à 1,12 (0,62 ; 0,83 ; 1,16 ; 1,73 ; 2,64 et 1,12). Il n’y a donc pas d’effet linéaire. En l’absence de prise d’un THS avant l’inclusion dans l’étude, le risque n’est pas augmenté (mais il est passé de 0,48 lors de la première année à 1,24 à la sixième, p = 0,02, les auteurs extrapolent que le risque serait devenu significatif avec le temps). Enfin, en cas de prise d’un THS antérieurement, le risque est augmenté, mais là il n’y a pas d’effet durée !!! (p = 0,10), ce qui est paradoxal.
• Essai WHI : ECE seuls
Il s’agit donc du deuxième bras de cet essai chez des femmes ayant eu une hystérectomie. La durée du traitement a été de 1 à 10 ans, en médiane 5,9 ans ; 20 % des participantes avaient uilisé des ECE auparavant pendant plus de 5 ans. Il n’a pas été mis en évidence d’augmentation du risque avec la durée d’utilisation. Il a même été observé que la réduction du risque de cancer du sein se poursuit après l’arrêt des ECE(6).
• Essai randomisé au Danemark (DOPS)
Cet essai a randomisé 1 006 femmes âgées de 45 à 58 ans pour recevoir de l’estradiol + acétate de norethistérone (Trisequens®) versus un placebo (estradiol versus placebo en cas d’hystérectomie), pendant 11 ans avec 16 ans de suivi. La durée moyenne du traitement a été de 10 ans. Il n’a pas été observé de risque accru de cancer du sein (10 dans le groupe traité versus 17 sous placebo) (HR = 0,58 [0,27- 1,27]) ni d’effet durée(7).
• Essai randomisé ESPRIT
Cet essai a été conduit chez des femmes de 50 à 69 ans ayant survécu à un premier infarctus et qui ont été randomisées entre 2 mg de valérate d’estradiol ou un placebo avec un suivi de 14 ans. Sept cas de cancers du sein sont apparus dans le bras traitement contre 15 sous placebo : HR = 0,47 (IC : 0,19-1,15). Il n’a pas été mis en évidence d’augmentation du risque avec le temps(8). Enfin, il faut noter qu’il y a peu d’études dédiées à l’effet durée. L’étude de Li(9) a regroupé 965 femmes âgées de 65 à 79 ans, qui s’est spécifiquement intéressée à cet effet durée, n’a pas mis en évidence d’augmentation significative du risque sous ECE seuls, y compris pour des durées de ≥ 25 ans. En revanche, sous association estroprogestative, l’essai a montré une augmentation du risque de survenue d’un cancer d u s e i n stable sur les 1 5 premières années de traitement, le risque devenant plus important au-delà. Il pourrait donc exister un risque, lié à l’effet-durée, différent en fonction des traitements.
• Étude E3N/MGEN(10)
Il s’agit d’une étude de cohorte menée entre 1990 et 2002 avec 8,1 ans en moyenne de suivi. 2 354 cas de cancers du sein sont apparus parmi 80 377 femmes avec des niveaux de risque différents en fonction des traitements utilisés : estrogènes seuls : RR = 1,29 (1,02-1,65), estrogènes + progestérone : RR = 1,00 (0,83-1,22), estrogènes + dydrogestérone : RR = 1,16 (0,94-1,43) et estrogènes + autres progestatifs : RR = 1,69 (1,50-1,91). Il n’a pas été mis en évidence d’effet durée pour les estrogènes utilisés seuls, malgré une augmentation du risque. Un effet durée avec l’association estrogènes + progestérone (p = 0,04) a été constaté, sans augmentation globale du risque. Il n’a pas été montré d’effet durée avec la dydrogestérone ni d’augmentation du risque, contrairement à une augmentation du risque avec un effet durée pour les autres progestatifs… Ces résultats posent donc un problème de cohérence, d’autant qu’ils sont contradictoires à ceux de l’étude d’Émilie Cordina-Duverger(11) qui ne retrouve pas d’augmentation du risque avec les estrogènes seuls, ni d’augmentation du risque avec les estrogènes associés à la progestérone naturelle, ni d’effet durée. Au total, l’effet durée n’est pas clairement démontré car il existe de nombreux biais et discordances parmi les études et en fonction des traitements.
Cancer de l’ovaire
• Une première métaanalyse a été publiée en 2008, regroupant 54 études (dont 24 ont été exclues) : 8 études de cohorte et 19 études cas-témoins ont été prises en compte. Pour les études de cohorte, on note un risque relatif de 1,24 (1,15-1,34) et pour les études cas-témoins de 1,19 (1,02-1,40). Le risque semble plus élevé sous estrogènes seuls que sous estroprogestaifs (études cas/témoins OR = 1,19 (1,01- 1,40) versus 1,01 (0,83-1,22). Il n’a pas été retrouvé d’effet durée(12).
• La deuxième métaanalyse publiée en 2015 a pris en considération 52 études. Toutes études confondues, on retrouve une élévation du risque avec un RR à 1,14 (1,10-1,19), avec un RR à 1,20 (1,15-1,26) pour les études prospectives et à 1,02 (0,93-1,11) pour les études rétrospectives. Le risque décroît en fonction du délai depuis la dernière utilisation. En cours d’utilisation, le risque est plus élevé (RR = 1,43 [1,31-1,56]). Il n’a pas été mis en évidence de différence en fonction des types de traitements ni d’effet durée. S’il a donc bien été retrouvé une petite élévation du risque de cancer de l’ovaire en cours d’utilisation d’un THM, il n’a pas été mis en évidence d’effet durée(13).
Cancer de l’endomètre
Une méta-analyse publiée en 2014 a repris l’essentiel des études publiées sur l’association THM et cancer de l’endomètre(14). Elle retrouve un risque accru en cas d’utilisation d’estrogènes seuls et un risque réduit par l’utilisation de progestatifs. En administration combinée continue, le RR est à 0,78 (0,72-0,86).
En cas d’administration de progestatifs moins de 10 jours par mois, le RR est à 1,76 (1,51-2,05) et en cas d’administration de progestatifs de 10 à 24 jours par mois à 1,07 (0,92-1,24).
• Il existe une incertitude quant à la durée de l’effet protecteur observé. Pour certains, l’effet protecteur persiste pour des durées de traitement de ≥ 10 ans (OR = 0,37 (0,21-0,66)(15) ; OR = 0,79 (0,61-1,02)(16), alors que pour d’autres, la protection est moindre pour les traitements de longue durée(17) (< 10 ans : RR : 0,53 (0,39-0,73), ≥ 10 ans : RR : 0,98 (0,63-1,54)). Ces résultats contradictoires sont peut-être liés à des populations trop faibles et sélectionnées.
En conclusion
Bien des incertitudes demeurent. Il n’y a pas de barre à 5 ans ; la logique est de continuer le THM tant que la patiente en a besoin et en ire un bénéfice en lui en ayant expliqué le rapport bénéfice/risque.
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