Publié le 12 déc 2017Lecture 10 min
Place des biomarqueurs de l’angiogenèse pour la prédiction de la prééclampsie
Vassilis TSATSARIS, Édouard LECARPENTIER, CHU Cochin Broca Hôtel-Dieu, Université Paris Descartes, Paris
En France, la prééclampsie survient dans environ 2 % des grossesses. Ce taux varie en fonction des facteurs de risque présentés par la patiente. La prééclampsie est responsable de près de 20 % de la mortalité maternelle liée à la grossesse aux États-Unis(1) et 15 % en Europe. La gravité de ce syndrome réside dans la possibilité de complications maternelles sévères et fœtales.
La prééclampsie est un problème de santé publique du fait de ses conséquences périnatales. Elle est, en effet, responsable d’une part importante de prématurité et surtout de grande prématurité induite. Les données précises ne sont pas connues en France, mais aux États-Unis, on estime à 15 % la proportion de naissances prématurées du fait de la prééclampsie (soit 82 000 naissances par an) (www.preeclampsia.org). Le problème prend encore plus d’importance à l’échelle mondiale. En effet, la prévalence de la prééclampsie est nettement plus élevée en Afrique où elle atteint une moyenne de 4 % dans la population générale, voire 18 % dans certaines ethnies(2). On estime qu’elle est responsable de 50 000 décès maternels par an dans le monde.
La prééclampsie est définie par une triade associant : hypertension, œdèmes et protéinurie. Il s’agit d’une hypertension artérielle de novo survenant après 20 SA et se normalisant dans les 3 mois après l’accouchement. La gravité de cete pathologie est liée à ses complications maternelles (HELLP syndrome, éclampsie, troubles de l’hémostase, insuffisance rénale, œdème aigu pulmonaire, œdème papillaire, décollement séreux de la rétine, hématome rétroplacentaire) et périnatales (hypotrophie, prématurité induite, décès in utero)(3). Le seul traitement curatif est actuellement l’accouchement permettant l’extraction placentaire. Avant 34 SA, l’expectative est possible pour prolonger la grossesse et diminuer la morbidité néonatale liée à la prématurité. La prise en charge conservatrice de la prééclampsie est symptomatique. Elle repose sur le repos, le contrôle de la pression artérielle de la mère par un traitement hypotenseur et une coricothérapie à visée fœtale mais aussi à visée maternelle dans les formes graves(3).
Aspects physiopathologiques
Des données récentes sur la physiopathologie de la prééclampsie apportent de nouveaux espoirs pour un dépistage précoce et le diagnostic préclinique de cette pathologie. Le schéma physiopathologique inclut plusieurs étapes successives :
– un défaut de remodelage vasculaire utérin responsable d’une diminution de l’afflux sanguin maternel (donc de nutriments et d’oxygène) vers le placenta ;
– une hypoxie placentaire et un stress oxydant induisant un dysfonctionnement généralisé du syncyiotrophoblaste. Cette dysfonction placentaire est associée au relargage dans la circulation maternelle de nombreux facteurs (radicaux libres, lipides oxydés, cytokines, récepteur soluble du VEGF [sVEGFR-1 ou sFlt-1], etc.) ;
– un dysfonctionnement de l’endothélium vasculaire maternel lié aux diverses substances libérées par le placenta dans la circulation maternelle et conduisant aux signes cliniques/biologiques de la maladie.
Le VEGF (vascular endothelial growth factor) est un facteur de croissance impliqué dans la physiopathologie de la maladie endothéliale maternelle(4). C’est un des plus importants facteurs de croissance des cellules endothéliales. Les études réalisées ont montré l’importance du VEGF dans les processus angiogéntiques normaux et pathologiques(5). Il a été montré que le VEGF est un des principaux facteurs de survie pour les cellules endothéliales(6-8). Il induit l’angiogenèse et la prolifération des cellules endothéliales et joue un rôle important dans le contrôle de la vasculogenèse(9). D’autres protéines sont apparentées au VEGF de par leur structure et leur spécificité pour les récepteurs au VEGF, tel le PlGF (placental growth factor)(10), produit en quantités importantes par le placenta. Ces facteurs méditent leurs effets via deux principaux récepteurs membranaires, le VEGF receptor 1 (VEGFR-1 ou Flt-1) et le VEGF receptor 2 (VEGFR-2, ou KDR ou encore flk-1)(5).
Il existe une forme soluble du récepteur de type 1 appelée sVEGFR-1 (ou sFlt-1) ne comprenant que la parie extracellulaire du récepteur VEGFR-1. Ce récepteur soluble se lie au VEGF et au PlGF circulants, mais n’ayant pas la possibilité de transduire un signal, il se comporte comme une molécule aniangiogénique en diminuant la biodisponibilité du VEGF et du PlGF(11-13).
En cas de prééclampsie, la production placentaire de VEGFR-1 et surtout de la forme soluble du VEGFR-1 est accrue(4). Il en résulte une augmentation des taux de sVEGFR-1 dans la circulation maternelle comparativement aux grossesses normales(4). Cette augmentation du sVEGFR-1 en cas de prééclampsie est associée à un effondrement des taux circulants de VEGF libre et de PlGF libre. Cette diminution des facteurs de survie des cellules endothéliales explique la dysfonction endothéliale de la prééclampsie(4,14). L’imputabilité du PlGF et de son récepteur soluble dans la physiopathologie de la dysfonction endothéliale et dans la néphropathie de la prééclampsie ont été confirmées par des modèles animaux transgéniques(15,16).
Intérêt du PlGF pour le dépistage précoce de la prééclampsie
Le dosage du VEGF n’est pas contributif en pratique car, pendant la grossesse, les taux circulants dans le sang maternel sont très bas et les trousses de dosage ne sont pas suffisamment sensibles. Ce sont donc le PlGF et le sVEGFR-1 qui ont été étudiés. Les taux de PlGF et de sFlt-1 sont anormaux plusieurs semaines avant l’apparition de la prééclampsie. L’étude longitudinale de Levine et coll. a montré que les taux de PlGF sont significativement plus bas chez les patientes qui vont développer une prééclampsie au cours de leur grossesse comparativement à celles qui auront une grossesse normale et que la pente d’ascension des taux de PlGF est importante à cette période (figure)(14). Cela a donc ouvert la voie du dépistage et de la prédiction de la prééclampsie.
Plusieurs travaux ont par la suite montré que le PlGF est un marqueur précoce de prééclampsie et que son dosage pourrait être utilisé dans le cadre d’un dépistage sérique de cette dernière(17-19). L’étude princeps pour le dépistage précoce de la prééclampsie en population à bas risque à l’aide du dosage de PlGF est celle de Poon et coll. en 2009(20). Il s’agit d’une étude cas-témoins nichée de 627 patientes à partir d’une cohorte prospective de 7 797 grossesses singletons, chez lesquelles le dosage du PlGF a été réalisé au 1er trimestre entre 11 et 13 SA.
La prévalence de la prééclampsie était de 2 % dans cette population. L’algorithme intégrant la pression artérielle moyenne, l’index de pulsatilité des artères utérines, le dosage du PlGF et de la PAPP-A au 1er trimestre a permis d’obtenir un taux de détection de 93,1 % pour la prééclampsie précoce avec un taux de faux positifs à 5 %. Cette étude comporte cependant certains biais qui peuvent accroître artificiellement la performance du test. Parmi ceux-ci, le plus important est la constitution du groupe contrôle. En effet, les patientes du groupe contrôle sont des patientes ayant une grossesse de déroulement normal, accouchant à terme d’un enfant de poids normal. Ce groupe n’est donc pas représentatif de la population générale à qui le test devrait être proposé. Par la suite, plusieurs études ont évalué la place du PlGF associé à d’autres biomarqueurs et d’autres paramètres cliniques ou échographiques pour le dépistage de la prééclampsie.
Ces travaux montrent généralement que la performance d’un tel dépistage est médiocre et que les algorithmes testés ne peuvent pas être implémentés en pratique clinique car ils génèreraient trop de faux positifs du dépistage(19-21). Enfin, une étude testant la validité externe des différents modèles publiés dans la littérature a montré une sensibilité plus faible et un taux de faux positifs plus élevé dans la nouvelle population(22). Une importante étude est actuellement en cours en Europe pour évaluer l’intérêt de l’implémentation d’un dépistage de la prééclampsie au 1er trimestre de la grossesse, en population générale (étude ASPRE : htps://fetalmedicine. org/aspre-1).
Cette étude doit recruter au moins 33 680 patientes chez qui un dépistage précoce de la prééclampsie est proposé. Parmi celles-ci, 10 % identifiées comme étant à risque accru sont randomisées soit dans un groupe recevant de l’aspirine à dose prophylacique (150 mg/j), soit dans un groupe recevant un placebo. Les résultats de cette étude majeure devraient préciser l’intérêt ou l’absence d’intérêt d’un dépistage précoce de la prééclampsie en population générale. D’ici là, il n’y a aucune indication à effectuer un dépistage précoce de la prééclampsie.
Intérêts du PlGF et du sFlt-1 dans le diagnostic de prééclampsie
La place du PlGF, du sFlt-1 et du ratio sFlt-1/PlGF pour poser le diagnostic de prééclampsie a été étudiée sur une population de 454 femmes enceintes entre 20 et 36 SA (388 grossesses normales, 18 HTA gravidiques, 39 prééclampsies et 9 prééclampsies surajoutées). La performance de ces marqueurs pour le diagnostic de prééclampsie était excellente avec une aire sous la courbe ROC de 98 %. Les seuils diagnostiques proposés dans cette étude étaient de 14 000 pg/ml pour le sFLT-1 et de 94 pg/ml pour le PlGF, avec une VPP de 96 % pour les deux marqueurs(23). En pratique clinique, le diagnostic de prééclampsie repose sur l’association d’une hypertension et d’une prééclampsie ; ces biomarqueurs n’ont le plus souvent pas d’intérêt pour confirmer ce diagnostic. En revanche, il existe des situations où le diagnostic de prééclampsie est difficile à poser et où ces biomarqueurs (et notamment le ratio sFlt-1/PlGF) peuvent aider les cliniciens. Tel est le cas chez les patientes présentant une néphropathie chronique et une HTA avant la grossesse (diabète, lupus, autre néphropathie). Cela peut aussi être le cas pour des patientes présentant des tableaux de microangiopathie thromboique en cours de grossesse. Il n’y a actuellement pas de consensus sur les seuils à utiliser. Les seuils les plus récemment proposés sont : avant 34 SA, un ratio sFlt-1/PlGF > 85 et à partir de 34 SA, un ratio sFlt-1/PlGF > 110(24).
Intérêts du PlGF et du sFlt-1 chez les patientes présentant une suspicion de prééclampsie
C’est surtout le ratio sFLT-1/PlGF qui a été étudié dans cette indication. Rana et coll. ont mené une étude prospective chez des patientes se présentant pour suspicion de prééclampsie(25). Le ratio sFlt-1/PlGF était plus élevé au moment de l’hospitalisation pour suspicion de prééclampsie lorsque l’issue de la grossesse était défavorable dans les deux semaines : 47 (15,5-112,2) versus 10,8 (4,1-28,6), p < 0,0001. Après construction de courbes ROC, les auteurs ont proposé un seuil de ratio sFlt-1/PlGF de 85. Une extraction fœtale dans les 2 semaines qui suivent l’hospitalisation pour suspicion de prééclampsie a eu lieu dans 86 % des cas lorsque le ratio sFlt-1/PlGF était ≥ 85 et dans 15,8 % des cas lorsque celui-ci était < 85 (Se 73 %, Sp 94 %, VPN 87 %, VPP 86 %, LHR+ 12, LHR- 0,29).
Très récemment, une publication a rapporté les résultats de l’étude prospective multicentrique PROGNOSIS qui a inclus entre 24 SA et 36 + 6 SA, 1 273 patientes avec une suspicion de pré éclampsie(26). La prévalence de la prééclampsie était de 19 %. La VPN d’un ratio sFlt-1/PlGF < 38, permettant d’exclure une prééclampsie, était de 99,1 % (98,2-99,6) à 1 semaine et de 94,9 % (93,1-96,3) à 4 semaines. La VPP à 4 semaines était de 38,6 % (32,6-45,0). Le PlGF seul a aussi été étudié chez des patientes avec une suspicion de prééclampsie, avec des résultats très similaires. Sibiude et coll. ont montré qu’un taux de PlGF > 5e percenile permettait d’exclure la survenue d’un évènement sévère dans les 2 semaines avec une VPN de 95 %(27). Chappell et coll. ont réalisé au Royaume-Uni une étude multicentrique prospective observationnelle incluant 287 patientes avant 35 SA(28).
Le critère de jugement principal était la naissance dans les 14 jours après l’inclusion, qu’elle ait été décidée pour indication maternelle ou fœtale. Les performances prédictives du PlGF seul au moment de l’inclusion sont intéressantes pour les inclusions avant 35 SA avec une aire sous courbe ROC de 0,87. Pour un PlGF < 12 pg/ml, la sensibilité est de 63 %, la spécificité de 90 %, la VPP de 70 %, la VPN de 87 %. Au total, ces travaux montrent que l’implémentation de ce ratio sFlt-1/PlGF (ou du PlGF seul) chez les patientes présentant une suspicion de prééclampsie devrait permettre d’alléger la surveillance lorsque le ratio est bas (< 38) et à l’inverse d’intensifier cette surveillance lorsque le ratio est élevé (> 38 mais surtout > 85). Il est néanmoins important d’attendre les résultats d’études interventionnelles pour valider l’intérêt de ces biomarqueurs en pratique clinique.
Conclusion
La littérature concernant la place des biomarqueurs de prééclampsie, et notamment du PlGF et du sFlt-1, est profuse. Elle est aussi extrêmement confuse quant à leur positionnement en pratique clinique. Il existe schématiquement 3 principales indications : pour le diagnostic de prééclampsie, pour le dépistage de la prééclampsie et pour la prédiction d’issues défavorables en cas de suspicion de prééclampsie.
• La première indication est la seule qui a actuellement une place en pratique clinique. Lorsqu’un diagnostic de prééclampsie est difficile à poser, le ratio sFlt-1/PlGF peut aider le clinicien à poser ou infirmer ce diagnostic. Les seuils actuellement retenus sont de 85 avant 34 SA et de 110 après 34 SA.
• En revanche, ces biomarqueurs n’ont pour le moment pas de place en routine pour le dépistage de la prééclampsie ou chez les patientes ayant une suspicion de prééclampsie. Leur positionnement sera défini suite aux résultats des études interventionnelles actuellement en cours.
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