Publié le 30 juin 2016Lecture 15 min
Le ganglion sentinelle dans les cancers du col utérin
P. MATHEVET(1), A.-S. BATS(2), F. LÉCURU(2), L. MAGAUD(3) – 1. Service de gynécologie, CHUV, Lausanne, Suisse - 2. Service de chirurgie gynécologique, HEGP, Paris - 3. Département d’information médicale, Hospices civils de Lyon
Les cancers débutants du col utérin sont habituellement traités par une chirurgie d’exérèse élargie associée à un curage ganglionnaire régional. Depuis près de 20 ans, la technique du ganglion sentinelle a été étudiée pour ce groupe de cancers.
Plusieurs études rétrospectives et prospectives ont confirmé la fiabilité du ganglion sentinelle avec un taux très bas de faux négatifs. Les bénéfices de la recherche de ganglion sentinelle sont multiples : réalisation d’un examen extemporané sur un des ganglions ciblés, recherche de micro-métastases ganglionnaires, détection des ganglions métastatiques en position ectopique. De plus, l’étude multicentrique française Senticol 2 a montré que l’exérèse de ganglions sentinelles seuls permettait de réduire de manière importante la morbidité chirurgicale par rapport à la réalisation d’un curage ganglionnaire régional. La prise en charge future de ces cancers du col débutants devrait donc intégrer l’identification des ganglions sentinelles en remplacement des curages. Le cancer du col utérin reste un problème de santé important, en particulier dans les pays en voie de développement. De plus, il touche des femmes jeunes et actives, et les répercussions du traitement ne sont pas négligeables, pouvant laisser des séquelles à long terme. Pour un certain nombre de tumeurs cancéreuses lymphophiles, il a été démontré que la technique du ganglion sentinelle (GS) est reproductible et fiable. Elle apporte des éléments diagnostiques et thérapeutiques au moins équivalents, voire supérieurs, à ceux d’un curage ganglionnaire régional, avec une morbidité moindre. Ainsi, la réalisation d’un prélèvement exclusif du GS a été validée pour les cancers débutants de localisation mammaire, vulvaire… Les bénéfices de la technique du GS sont multiples : ciblage électif de premiers relais ganglionnaires pour un examen extemporané (et une éventuelle modification thérapeutique en cours d’intervention), possibilité d’un examen histologique définitif avec ultra-stadification et recherche de micro-métastases (facteur pronostique potentiel), localisation de ganglions sentinelles potentiellement métastatiques en position ectopique (en dehors des territoires habituels du curage régional), et habituellement une morbidité réduite par l’exérèse limitée d’un nombre de ganglions entraînant peu de répercussions sur la circulation lymphatique. Les inconvénients de cette technique sont limités. Ils sont liés à une injection d’un marqueur lymphatique avec un risque potentiel d’allergie. De plus, la réalisation du repérage par un marqueur lymphatique radio-isotopique impose la manipulation de produits radio-actifs et un surcoût lié au marqueur et aux moyens techniques nécessaires à son repérage. Il est cependant à noter que ce surcoût est largement compensé par une diminution de la durée d’hospitalisation, par l’agressivité moindre du geste opératoire et, ainsi, par la diminution des complications postopératoires et donc de leur coût. Données actuelles sur la technique du ganglion sentinelle Dans le cadre du cancer du col utérin, après de nombreuses études rétrospectives portant sur des effectifs relativement limités en nombre, la technique du GS a pu être évaluée de manière prospective essentiellement par deux études d’assez grande ampleur : une étude multicentrique allemande et une étude multicentrique française. Ces travaux, réalisés dans un cadre prospectif tout à fait précis et validé, ont permis de confirmer les données des études rétrospectives antérieures. Ainsi, le taux de détection du GS est élevé dans les cancers du col utérin débutants (> 95 %). Ce taux de détection est obtenu grâce à l’utilisation de techniques couplées de repérage de GS, essentiellement par injection d’un colloïde marqué au technétium 99 (Nanocis®) et par l’administration d’un colorant lymphatique : le Bleu patenté® (figure 1). Cependant, l’utérus étant un organe médian, les voies de drainage se font vers les deux côtés du bassin. Il existe donc une discussion sur la représentativité et le taux de détection du GS en fonction d’une détection uni- ou bilatérale des ganglions contre les parois du bassin. Les données les plus récentes amènent à penser qu’une détection bilatérale est nécessaire pour avoir une bonne représentativité du statut du GS pelvien. Ceci amène à revoir à la baisse les taux de détection du GS observés avec des techniques combinées. Ces taux sont ainsi entre 75 et 80 % pour une détection bilatérale. De même, cette donnée influe sur les résultats de la représentativité du GS. Ainsi, le taux de faux négatifs de la technique du GS est très faible (< 2 %) en cas de détection bilatérale des GS. Les principales études de la littérature montrent que la technique du GS semble fiable dans le cadre des cancers du col utérin débutants, à condition que cette technique utilise une double détection et que le GS soit identifié de chaque côté du bassin. Figure 1. Visualisation en laparoscopie, à travers le péritoine, d’un ganglion sentinelle marqué par le Bleu patenté® en position iliaque externe droite. La technique du ganglion sentinelle est fiable sans faux négatifs lorsqu’une détection des ganglions sentinelles est obtenue de manière bilatérale de chaque côté du bassin. Bénéfices de la technique du ganglion sentinelle Comme toute nouvelle technique, les bénéfices et les inconvénients de celle-ci doivent être évalués pour pouvoir la positionner au mieux dans l’arsenal thérapeutique. Les bénéfices de la technique du GS sont assez patents pour certaines tumeurs (cancer du sein, cancer de la vulve, etc.) où les curages régionaux sont associés à une morbidité importante. Ainsi, dans ce cadre, la technique du GS est actuellement un élément essentiel et indispensable de la prise en charge thérapeutique des patientes. En ce qui concerne les cancers du col utérin débutants, les bénéfices de la technique du GS apparaissent non négligeables. • Le premier bénéfice est celui de l’identification peropératoire des premiers relais ganglionnaires lymphatiques pelviens amenant à pouvoir réaliser un examen extemporané sur ces premiers relais ganglionnaires. En cas d’envahissement métastatique découvert à l’examen extemporané, une intervention d’hystérectomie élargie (ou de trachélectomie élargie) sera récusée et la patiente bénéficiera dans le même temps d’un prélèvement ganglionnaire plus extensif avec, en particulier, évaluation des territoires iliaques primitifs et aortico-cave. L’intérêt thérapeutique de l’identification des métastases ganglionnaires en peropératoire est donc non négligeable. Ce bénéfice de la technique du GS est malheureusement limité par la taille de la métastase détectée. À l’heure actuelle, plus de 50 % des atteintes métastatiques ganglionnaires pelviennes (incluant des micro-atteintes ganglionnaires) sont méconnues lors des examens extemporanés. Plusieurs équipes travaillent sur le développement d’outils de biologie moléculaire pour améliorer la sen sibilité de l’examen extemporané. • Un autre bénéfice non négligeable de la technique du GS est celui de la détection de voies de drainage aberrantes. Ces données sont particulièrement patentes au niveau du territoire pelvien où les voies de drainage présentent des variations anatomiques fréquentes. Ces voies de drainage se font directement du massif cervical vers des territoires inhabituels (non prélevés lors de curages pelviens standard). Les principales études prospectives sur les GS montrent que le taux de voies de drainage aberrantes est d’environ 15 %. Ainsi, il n’est pas rare de découvrir des GS en position ectopique en territoire pré-sacré, iliaque primitif, lomboaortique, paramétrial, etc. (figure 2). Figure 2. Identification par laparoscopie d’un ganglion sentinelle marqué par le Bleu patenté® en position ectopique : territoire pré-sacré. De plus, ces GS en position inhabituelle peuvent être les seuls atteints par la tumeur cervicale. Dans l’étude Senticol 1, deux patientes sur 139 présentaient une atteinte d’un GS en position ectopique (pré-sacrée dans les deux cas) sans autre atteinte des ganglions pelviens, y compris après coupes semi-sériées et immunohistochimie sur l’ensemble des ganglions pelviens prélevés chez ces patientes par un curage complet. Il est donc possible que l’identification du GS en position ectopique puisse améliorer le pronostic de certaines patientes en détectant des atteintes ganglionnaires dans des territoires habituellement non prélevés. • L’identification de GS en nombre limité permet d’envisager une étude plus poussée sur le plan histologique sur ces gs, afin de détecter des microatteintes tumorales (figures 3 et 4). Figure 3. Identification d’une atteinte ganglionnaire métastatique par ultrastadification. Les cellules tumorales sont marquées en brun-noir par immunohistochimie avec un anticorps anticytokératines. Atteinte métastatique d’une taille entre 200 μm et 2 mm = micrométastase. Figure 4. Identification d’une atteinte ganglionnaire métastatique par ultrastadification. Les cellules tumorales sont marquées en brun-noir par immunohistochimie avec un anticorps anticytokératines. Atteinte métastatique d’une taille inférieure à 200 μm = cellules tumorales isolées. Les envahissements ganglionnaires de moins de 2 mm sont considérés comme des micrométastases véritables et, lorsqu’ils font moins de 200 µm, ils sont dénommés cellules tumorales isolées. La détection de ces atteintes ganglionnaires de petite taille repose sur les techniques de biologie ou d’histologie plus poussées. Ainsi, la plupart des auteurs recommandent la réalisation de coupes sériées (avec des espacements inter-coupes variables entre 150 et 500 µm) et l’utilisation d’immunohistochimie avec des anticorps anticytokératines. Ces techniques sont privilégiées par rapport aux techniques de biologie moléculaire avec PCR, car elles permettent une analyse morphologique du tissu ganglionnaire. L’apport de l’identification des micro-métastases ganglionnaires dans les cancers du col utérin débutants comme facteur pronostique de rechute est un sujet débattu. Cependant, plusieurs études avec des effectifs importants montrent qu’il s’agit d’un facteur important de rechute des patientes qui présentent, a priori, un cancer débutant de bon pronostic. Il s’agit cependant d’études rétrospectives portant sur des patientes avec un risque faible de rechute et, par ailleurs, avec possibilité d’interférences d’autres facteurs pronostiques. De plus, l’attitude thérapeutique à proposer en cas d’atteintes ganglionnaires micrométastatiques reste pour le moment indéterminée. Des études prospectives sont nécessaires pour pouvoir déterminer de manière plus précise la position des micrométastases comme facteur pronostique des cancers du col utérin débutants, ainsi que les options thérapeutiques à envisager en cas d’atteintes micrométastatiques ganglionnaires. • Un des intérêts essentiels de la technique du GS est la diminution de la morbidité obtenue par le prélèvement du ganglion isolé par rapport à un curage régional. Ceci est parfaitement démontré pour les cancers du sein ainsi que les cancers de vulve. Il est d’ailleurs à noter que cette diminution de l’agressivité chirurgicale a permis une réduction importante des durées d’hospitalisation. Dans le cadre des cancers du col utérin débutants, la morbidité des curages n’a pas été évaluée par des études prospectives. Et cette morbidité des curages pelviens reste mal connue. Dans le cadre d’un prélèvement exclusif du GS, le problème principal pour les cancers du col est que le taux de faux négatifs de la technique du GS doit être le plus proche possible de zéro car, en cas d’atteinte ganglionnaire méconnue, aucun traitement adjuvant n’étant habituellement réalisé, le pronostic de la patiente pourrait être engagé. Cependant, au vu des excellents résultats en termes de fiabilité de la technique du GS lors d’une double détection (la technique isotopique et colorimétrique) à la condition d’avoir une détection de chaque côté du bassin d’au moins un GS, une étude prospective multicentrique française a été mise en place visant à évaluer le bénéfice en termes de morbidité lymphatique d’une technique du GS seul. Dans le cadre de cette étude prospective randomisée, les patientes présentant un cancer du col utérin débutant ont été réparties aléatoirement entre un bras GS seul ou un bras GS + curage pelvien. Les données de l’étude sont en cours d’analyse, mais dès à présent les premiers résultats montrent un bénéfice important en termes de morbidité lors d’un prélèvement exclusif du GS, avec une diminution significative de 50 % des complications lymphatiques ou neurologiques liées aux prélèvements ganglionnaires pelviens. Ces données préliminaires doivent bien sûr être confirmées par d’autres études, mais il apparaît déjà que la technique du GS présente des avantages importants comparativement aux techniques de curages pelviens classiquement réalisées pour les cancers du col utérin débutants. L'identification des ganglions sentinelles présente de nombreux bénéfices : • modification peropératoire de l’attitude thérapeutique grâce à un examen extemporané ciblé ; • reconnaissance d’un facteur pronostique précédemment méconnu : la présence de micrométastases ganglionnaires ; • identification de ganglion potentiellement métastatique en position ectopique et donc amélioration potentielle de la prise en charge thérapeutique ; • diminution de la morbidité chirurgicale par la réalisation d’un prélèvement isolé des ganglions sentinelles sans curage pelvien. Inconvénients de la technique du ganglion sentinelle La technique du GS présente plusieurs inconvénients qui restent cependant modérés. Sur un plan organisationnel, le repérage préalable des ganglions impose quelques contraintes. L’utilisation de marqueurs isotopiques nécessite des précautions en relation avec la manipulation de produits radioactifs. L’utilisation de colorants de type Bleu patenté® peut être source d’allergies, rares mais graves. De plus, certains marqueurs comme ceux isotopiques entraînent un surcoût financier modéré. Cependant, ce surcoût est à compenser par la diminution de la morbidité potentiellement obtenue avec la technique du GS seul. De plus, cette diminution de la morbidité est possiblement associée à une réduction de la durée d’hospitalisation (comme cela était clairement mis en évidence pour les cancers du sein et/ou de la vulve). Développements futurs de la technique du GS dans les cancers du col utérin débutants Au vu des données précédentes et en particulier des avantages importants de la technique du GS, celleci devrait faire partie de l’arsenal thérapeutique des cancers du col utérin débutants. Suivant les résultats préliminaires de l’étude Senticol 2, il est probable que la morbidité chirurgicale pourra être réduite grâce à l’utilisation de la technique du GS seul. Ceci amènera à modifier, éventuellement, la prise en charge thérapeutique de ces tumeurs. Ainsi, du fait des limites de l’examen extemporané actuel dans le cadre de l’identification des atteintes métastatiques ganglionnaires, différentes thérapeutiques pourraient être envisagées. • La première option serait la réalisation d’une stadification préalable à la prise en charge thérapeutique, cette stadification comportant une évaluation tumorale locale et un statut ganglionnaire par la technique du GS. Cette évaluation se ferait par laparoscopie en ambulatoire, puis la prise en charge thérapeutique ultérieure serait fixée par l’examen histologique définitif avec étude en coupes semi-sériées et en immunohistochimie des GS. • La deuxième option consisterait à développer des techniques de biologie moléculaire performantes permettant un examen extemporané précis, ce qui pourrait conditionner la conduite à tenir thérapeutique en peropératoire. Ainsi, dans le même temps que l’évaluation des GS, en cas d’absence d’atteinte de ceux-ci, une chirurgie d’exérèse tumorale serait pratiquée. En cas d’atteinte tumorale ganglionnaire, le geste opératoire sera poursuivi par des curages complets étendus en iliaque primitif, voire en lombo-aortique pour avoir un statut ganglionnaire le plus précis possible. Par ailleurs, actuellement, de nouveaux marqueurs lymphatiques sont testés afin d’améliorer les taux de détection du GS et surtout de se dispenser de la manipulation de produits radioactifs et des contraintes liées à cet usage. Ainsi, de nouveaux marqueurs de type fluorochrome ou ferromagnétique sont en cours d’investigation. Le taux de détection semble très satisfaisant avec ces marqueurs. La seule contrainte est celle de disposer d’une caméra endoscopique permettant de visualiser des longueurs d’ondes adaptées pour les marqueurs de type fluorochrome. Pour les marqueurs ferromagnétiques, le problème de leur utilisation est surtout lié aux interférences avec les instruments métalliques qui gênent la détection et nécessitent le recours à une instrumentation spécifique non ferrique. Le futur pourrait être l’utilisation d’un seul marqueur non isotopique, ce qui éviterait à la fois les risques allergiques et la manipulation des produits radioactifs. Conclusion Dans le cadre des cancers du col utérin débutants, la technique du GS est en train de s’imposer progressivement dans la prise en charge thérapeutique de ces tumeurs, comme cela a déjà été observé pour d’autres cancers. Les bénéfices de cette technique sont nombreux : extemporané possible sur un des ganglions ciblés, recherche de micrométastases, détection des ganglions métastatiques en position ectopique, etc. Par ailleurs, un bénéfice attendu en termes de morbidité est très probable en cas de résection du GS seul. L’implémentation de cette technique nécessitera très certainement une modification des procédures thérapeutiques afin d’améliorer la prise en charge chirurgicale des patientes présentant un cancer du col utérin débutant.
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