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Cancérologie

Publié le 08 juil 2015Lecture 13 min

La génétique à haut débit dans la prise en charge des cancers

C. LE TOURNEAU, Institut Curie, Paris, Institut Curie, Saint-Cloud, Unité INSERM U900, Paris

Les outils d’analyses génétiques à haut débit n’étaient auparavant utilisés que dans le domaine de la recherche. Du fait de la diminution drastique de leur coût et de la rapidité des analyses, ces outils sont désormais utilisables en pratique clinique. Ceci est d’autant plus pertinent que des données précliniques et cliniques suggèrent qu’à l’avenir, le traitement du cancer devra sûrement être basé, non plus sur la localisation tumorale et l’histologie, mais sur la biologie de la cellule tumorale. Bien qu’il y ait beaucoup d’espoir dans ce nouveau concept classiquement dénommé médecine personnalisée, l’utilisation de ces outils d’analyses génétiques à haut débit est associée à de nombreux défis. Enfin, il reste à démontrer de façon formelle que l’utilisation de ces outils permet d’améliorer le pronostic des patients atteints de cancer.

Depuis quelques années, les outils de génétique à haut débit permettent de déterminer l’ensemble de la séquence d’ADN d’une cellule. Ces outils ont été initialement utilisés exclusivement dans les unités de recherche. Du fait de la décroissance rapide des coûts et de l’amélioration technologique, les outils de génétique à haut débit ont investi le champ de la médecine. Le cancer étant considéré comme une maladie génétique, dans le sens où une cellule saine devient cancéreuse suite à une succession d’altérations du génome, la cancérologie a été l’une des premières disciplines à utiliser ces outils en clinique. L’utilisation de ces outils rend envisageable les stratégies de médecine personnalisée dont le principe est d’utiliser les données biologiques du patient afin de mieux prévenir, diagnostiquer et traiter. Nous abordons ici les différents outils de génétique à haut débit. Viennent ensuite le concept de médecine personnalisée et les différents essais de médecine personnalisée qui sont en cours. Enfin, les défis associés à l’utilisation des outils de génétique à haut débit dans les essais de médecine personnalisée sont abordés.   Les outils de génétique à haut débit Les outils de génétique à haut débit permettent d’analyser de multiples altérations en une seule fois. Avant de présenter ces différents outils, revenons sur les outils utilisés pour détecter une seule altération moléculaire. Les altérations moléculaires peuvent être analysées à toutes les étapes de l’ADN (analyses génomiques), de l’ARN (analyses transcriptomiques) et de la protéine (analyses protéomiques) (tableau). La méthode de référence pour la recherche de mutations et de translocations de l’ADN est la méthode qui a été développée par Sanger.   Le séquençage à haut débit permet de détecter de multiples anomalies en une seule fois. La méthode de référence pour la recherche d’altérations du nombre de copies de gènes, que ce soit des amplifications ou des délétions, est la FISH. La CGH (Comparative genomic hybridization) permet une étude pangénomique. Ces techniques sont très largement utilisées aujourd’hui. Il faut bien distinguer la génétique somatique, qui est l’étude de l’ADN tumoral, et la génétique constitutionnelle, qui est l’étude de l’ADN constitutionnel (ex. : étude des gènes de prédisposition au cancer du sein BRCA). L’étude de l’ARN est, en revanche, moins fréquente en clinique. La méthode de référence pour l’analyse d’une variation de séquence d’ARN est la méthode de Sanger, tandis que le séquençage permet l’analyse de multiples variations. L’expression d’un transcrit est évaluée grâce à la RT-PCR, alors que les puces d’expression permettent l’analyse de multiples transcrits. Enfin, l’étude du niveau d’expression d’une protéine est réalisée grâce à l’immunohistochimie. La reverse phase protein array (RPPA) permet d’évaluer en une seule fois le niveau d’expression de plusieurs protéines. L’immunohistochimie est une technique de référence couramment utilisée en clinique, tandis que la RPPA est plutôt utilisée dans le domaine de la recherche. Concept de médecine personnalisée L’arsenal thérapeutique en cancérologie comporte les traitements locorégionaux (chirurgie et techniques d’irradiation) et les traitements systémiques. Ces derniers comprennent les agents de chimiothérapie cytotoxique et, depuis la fin des années 1990, les thérapies ciblées. À la différence des premiers qui détruisent les cellules en division (et donc surtout les cellules tumorales) en ciblant la machine de division cellulaire, les thérapies ciblées ciblent une (ou plusieurs) altération(s) moléculaire(s) censées être cruciales pour la prolifération, l’angiogenèse, etc. L’hormonothérapie utilisée dans les cancers du sein fait en réalité partie de cette classe thérapeutique, puisque efficace seulement lorsque la cible (les récepteurs hormonaux) est exprimée. Depuis le trastuzumab qui a été approuvé dans le traitement du cancer du sein HER2+ (qui représente environ 20 % des cancers du sein) en 1998, une quarantaine de thérapies ciblées ont été commercialisées.   Les thérapies ciblées ont suivi le même développement clinique que les agents de chimiothérapie cytotoxique, c’est-à-dire par organe et type histologique Ceci est lié au fait que certaines altérations moléculaires ont initialement été rapportées dans certains types de cancer. Le séquençage complet de nombreux types de cancers a montré qu’en réalité, de nombreuses altérations moléculaires étaient communes à différents types de cancer(1). Plus tard, des altérations de HER2 ont ainsi été rapportées dans les cancers de l’estomac, puis dans les cancers bronchiques. Il a été démontré que cibler HER2 dans le cancer de l’estomac est efficace, et des résultats prometteurs ont été rapportés dans le cancer bronchique.   Faut-il sortir du dogme de l’organe pour le traitement du cancer et traiter le cancer uniquement sur la base de la biologie ?  Tous ces éléments font que se pose aujourd’hui cette question fondamentale qui constituerait un changement de paradigme si la réponse était affirmative. C’est ce que l’on entend classiquement par le concept de médecine personnalisée.   Deux études suggèrent que guider le traitement du cancer en fonction du profil moléculaire de la tumeur et ce, indépendamment du type de cancer, pourrait améliorer le pronostic des patients, du moins en situation de récidive après échec des traitements standard Dans la première étude, un profil moléculaire a été réalisé et le traitement décidé en fonction(2). Les auteurs ont montré que dans presqu’un tiers des cas, les patients répondaient durant au moins 30 % de temps de plus sous le traitement déterminé par le profil moléculaire que sous le dernier traitement reçu par le patient. La seconde étude s’adressait à des patients qui devaient être inclus dans un essai de phase I (évaluation pour la première fois chez l’homme d’un nouveau médicament ou d’une nouvelle association)(3). Les auteurs ont rapporté que les patients qui étaient inclus dans un essai de phase I avec un médicament correspondant à une altération moléculaire détectée sur leur tumeur, non seulement répondaient mieux au traitement, mais vivaient plus longtemps que ceux qui étaient inclus dans un essai de phase I sans cette correspondance. Ces deux études n’étant pas randomisées, elles n’ont pu que générer l’hypothèse que réaliser le profil moléculaire de la tumeur des patients afin de choisir le traitement pourrait améliorer leur pronostic.   Les essais de médecine personnalisée Plusieurs essais, dits de médecine personnalisée utilisant les outils de génétique à haut débit, ont été initiés afin de démontrer l’hypothèse de la médecine personnalisée. Ces essais sont radicalement différents des essais traditionnels, car ils n’évaluent pas l’efficacité d’un médicament dans un groupe de patients ayant tous un même type de cancer et éventuellement porteurs d’une même altération moléculaire. Ils évaluent en réalité l’algorithme de traitement utilisé pour décider du traitement.   L’essai SHIVA est le premier essai randomisé Il compare l’efficacité d’une thérapie ciblée prescrite sur la base d’une altération moléculaire identifiée sur le profil moléculaire de la tumeur à celle d’une chimiothérapie conventionnelle chez des patients ayant n’importe quel type de cancer réfractaire aux traitements standard (figure)(4). Le profil moléculaire comprend l’analyse de mutations, amplifications et délétions de l’ADN ainsi que l’expression des récepteurs aux estrogènes, à la progestérone et aux androgènes. Il est prévu de randomiser 200 patients. Cet essai promu par l’Institut Curie et ouvert dans 7 autres centres français a démarré en octobre 2012 et devrait se terminer durant l’année 2014.   Essai de médecine personnalisée SHIVA.   D’autres essais ont emboîté le pas à l’essai SHIVA Ils abordent la question de la médecine personnalisée sous des angles différents. L’essai WINTHER, ouvert en juin 2013 dans quelques centres dans le monde, reprend le même principe que l’étude de von Hoff en prenant chaque patient comme son propre témoin pour évaluer l’efficacité. Le profil moléculaire réalisé est similaire à celui de SHIVA, à l’exclusion des récepteurs hormonaux. Pour les patients n’ayant pas d’altération au niveau de l’ADN, une analyse de l’ARN tumoral et de l’ADN du tissu sain est utilisée pour guider le traitement. Aux États-Unis, le NCI prévoit de lancer très prochainement l’essai MPACT qui s’adresse à la même population de patients que l’essai SHIVA. À la différence de SHIVA, cet essai randomisé compare l’efficacité d’une thérapie ciblée basée sur le profil moléculaire de la tumeur à celle de toute thérapie ciblée sauf celle qui correspond à l’altération moléculaire détectée. Cet essai permet de n’évaluer que l’algorithme de traitement. L’essai MOST promu par le Centre Léon-Bérard à Lyon vient de démarrer et consiste à prescrire la thérapie ciblée correspondant à l’anomalie moléculaire détectée à tous les patients dans un premier temps. Le profil moléculaire est similaire à celui de SHIVA. Au bout de 3 mois de traitement, les patients progressant sont sortis d’étude tandis que ceux qui répondent selon les critères RECIST continuent. Les patients stables selon ces mêmes critères sont randomisés entre la poursuite et l’arrêt du traitement. Les patients qui arrêtent le traitement ont la possibilité de le reprendre 3 mois plus tard s’ils progressent. Cet essai permet de distinguer les patients qui sont stabilisés du fait du traitement, de ceux qui le sont du fait de l’histoire naturelle de la maladie. Enfin, les essais SAFIR02 promus par Unicancer évaluent de façon randomisée l’efficacité d’une thérapie ciblée de maintenance, prescrite sur la base du profil moléculaire de la tumeur, chez des patients ayant un cancer du poumon d’un côté et un cancer du sein de l’autre en situation métastatique après une ou deux lignes de chimiothérapie première(5). Le bras expérimental est comparé au traitement de maintenance réalisé classiquement dans ces situations. Ces essais doivent démarrer très prochainement.   Les défis liés aux essais de médecine personnalisée Les essais de médecine personnalisée qui utilisent les analyses génétiques à haut débit sont associés à de multiples défis.     Logistiques   Il est bien souvent nécessaire de réaliser une biopsie d’un site métastatique afin de réaliser les analyses génétiques à haut débit, ce qui n’est pas toujours possible. De plus, la cellularité tumorale doit être suffisamment élevée.    Techniques Les outils d’analyse génétique à haut débit utilisés en clinique doivent être validés. Cela signifie que les résultats obtenus avec ces outils doivent être les mêmes que ceux qui auraient été identifiés avec les méthodes de référence.     Biologiques  La biologie est le point clé de ces essais dans lesquels des analyses génétiques à haut débit sont conduites. La question essentielle est celle de la valeur prédictive de la réponse aux thérapies ciblées des différentes altérations moléculaires. Les algorithmes de traitement sont l’hypothèse qui est évaluée dans ces essais. Se pose également la question de la hiérarchisation lorsque plusieurs altérations moléculaires sont détectées.     Statistiques  Ces nouveaux essais nécessitent des designs statistiques nouveaux, surtout lorsque de multiples pathologies tumorales sont impliquées et lorsque les altérations moléculaires sont de faible prévalence.     Financiers  Même si les coûts de ces technologies ont diminué de façon drastique, ils sont élevés. Les essais de médecine personnalisée coûtent cher et nécessitent des financements plus importants que les essais cliniques classiques. Si le concept de médecine personnalisée est validé, se posera la question du financement des technologies afin qu’elles soient disponibles pour tous les patients concernés.     Éthiques  Il est fort à parier que c’est l’exome complet qui sera analysé dans un proche avenir. Cependant, cette analyse nécessite l’étude du génome constitutionnel. Ceci soulèvera des questions éthiques lors de la découverte de gènes de prédisposition qui, de facto, impliqueront la descendance.   Conclusion Les outils d’analyses génétiques à haut débit ne sont plus exclusivement utilisés en recherche, mais font désormais partie de la pratique clinique à travers les essais de médecine personnalisée. Bien qu’il y ait beaucoup d’espoir dans ces nouvelles technologies, elles ne sont pas d’utilisation simple, mais sont associées à de nombreux défis. Enfin, il n’a pas encore été démontré de façon formelle que l’utilisation de ces outils permet d’améliorer le pronostic des patients atteints de cancer.     

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