Publié le 02 fév 2015Lecture 8 min
Dépistage non invasif des anomalies chromosomiques
C. BERNABÉ-DUPONT, G. VIOT, L. LOHMANN, C. LACAM, P. ERNAULT, F. JACQUEMARD, CPDP, hôpital Américain, Neuilly-sur-Seine
Le développement des tests non invasifs de dépistage des anomalies chromosomiques permet, par leur excellente sensibilité, d’éviter la réalisation de nombreux gestes invasifs. Leurs indications, contre-indicaions, particularités doivent être détaillées avant que ces tests ne se diffusent à plus grande échelle.
La présence d’ADN fœtal libre circulant dans le plasma maternel a été mise en évidence par Lo et son équipe dès 1997. Il a ensuite été rapidement prouvé que cet ADN, qui provient principalement des cellules trophoblastiques, est présent de façon fractionnée mais en intégralité dans le sang maternel. Sa quantité augmente au fil de la grossesse. Dès 2002, cet ADN fœtal est devenu un outil de diagnostic prénatal avec, tout d’abord, la détermination possible du sexe fœtal sur sang maternel pour les familles à risque de pathologie liée au sexe. Le génotypage RHD fœtal est devenu également possible de façon non invasive, permettant de cibler la prophylaxie anti-D. Les progrès de la génétique moléculaire, en particulier l’amplification génique par séquençage à haut débit, ouvrent un champ immense d’applications, à commencer par le dépistage des anomalies de nombre des chromosomes de façon non invasive. Depuis fin 2011, cette méthode de dépistage, dont la sensibilité est supérieure à celle des marqueurs sériques et de l’échographie, est proposée comme une approche alternative aux méthodes invasives aux femmes présentant un risque de trisomie. Principe du dépistage Le test étudie l’ADN libre circulant dans le sang maternel. Dix pour cent de l’ADN fœtal circulant est d’origine fœtale (figure 1). Figure 1 Ce test est indiqué chez les femmes enceintes présentant un risque accru de trisomie des chromosomes 21, 13 et 18. Il permet de dépister d’autres trisomies comme la trisomie 16 et la trisomie 22, ainsi que des syndromes délétionnels plus rares tels que les syndromes du Cri du chat (5p-), de Di George (22q-), 1p36, et PraderWilli/Angelman (15q-). L’ADN libre circulant est purifié à partir du plasma d’un prélèvement maternel de sang total prélevé sur anticoagulant. Il est ensuite étudié par séquençage et quantification des marqueurs spécifiques des chromosomes 21, 13, 18, X et Y. Le séquençage multiple en parallèle permet, en comparant avec la quantité de matériel identifiée pour chaque chromosome, de détecter un excès de matériel de chromosome 21, ou 13 ou 18 par rapport à ce qui est attendu (figures 2 et 3). Figure 2. Principe du dépistage de trisomies sur sang maternel grâce au séquençage haut débit. Figure 3. Le séquençage haut débit ne différencie pas l’ADN maternel circulant de l’ADN fœtal circulant. Le test MaterniT21 PLUS laboratory-developed test(LTD) est développé par le laboratoire Sequenom aux États-Unis, ou sous licence en Europe par des transferts de technologie. Il s’agit donc d’une quantification de l’ADN, mais non d’une détermination du caryotype fœtal. Les performances de ce test ont été déterminées à partir d’études cliniques réalisées chez des femmes enceintes à risque accru d’aneuploïdies fœtales en ce qui concerne les chromosomes 21, 18 et 13(1,2) et par une étude spécifique pour les chromosomes X et Y(3). Les performances attendues pour les chromosomes 21, 18, 13 sont excellentes(1-3), particulièrement en ce qui concerne la sensibilité, fondamentale pour un dépistage de masse (tableau). On considère que la négativité du test permet de diviser le risque d’un facteur 100 : chez une patiente présentant un risque accru de trisomie 21 de 1/100, un test MaterniT21 PLUS négatif réduira ce risque à moins de 1/10 000, ce qui est beaucoup plus rassurant, mais il est important de souligner qu’un test négatif ne permet pas d’être absolument certain que le fœtus n’est pas atteint d’anomalie chromosomique. Cela signifie que ce test n’est pas un test diagnostique, mais un test de dépistage à haute sensibilité. En cas de résultat positif du test, la probabilité que l’enfant soit atteint de trisomie 21 est quasi certaine mais devra être confirmée par une amniocentèse. La consultation d’information et de diagnostic prénatal Impérative dans notre équipe, la consultation d’information et de diagnostic prénatal permet d’expliciter le principe du test de dépistage de trisomie sur ADN fœtal circulant, les particularités, points forts et points faibles de cette technique, du test, de vérifier le calcul de risque du 1er trimestre de la grossesse, de discuter avec les parents des différentes approches dont nous disposons pour les aider, qu’il s’agisse de gestes invasifs ou non. En effet, le test a quasiment la même fiabilité qu’un caryotype fœtal étudié par analyse directe des cellules d’une biopsie de trophoblaste et doit donc faire l’objet d’explications détaillées avant la signature d’un consentement. La consultation permet de souligner les points suivants : Le test peut échouer, souvent en raison d’insuffisance d’ADN libre circulant (par exemple, en cas de surcharges pondérales importantes), parfois en raison d’un excès d’ADN circulant (fibromes en nécrobiose, néoplasies maternelles) ; une grossesse initialement gémellaire dont l’un des œufs n’est pas évolutif peut entraîner un faux positif si l’œuf non évolutif, porteur d’une anomalie chromosomique, continue à « relarguer » de l’ADN dans le plasma maternel ; ce test peut cependant être utilisé en cas de grossesses multiples : il permet d’améliorer le dépistage du fait de la valeur toute relative ou de l’indisponibilité des marqueurs sériques dans cette indication. En cas de résultat anormal, la réalisation de deux amniocentèses sera rediscutée ; le test ne permet pas de détecter les anomalies de structure des chromosomes équilibrées type translocation. Il ne détecte pas les anomalies chromosomiques situées sur les autres chromosomes que ceux qui sont étudiés ; il ne détecte pas les maladies génétiques liées à des mutations géniques ; il ne permet pas de détecter les rares trisomies 21, 13 ou 18 en mosaïques, en particulier en mosaïques faibles (< 20 % de cellules trisomiques) et ne permet pas de détecter les rares discordances chromosomiques entre fœtus et placenta. Les indications L’indication principale est bien évidemment un risque combiné > 1/250 en raison de marqueurs sériques perturbés, en alternative à un prélèvement fœtal invasif. Les risques intermédiaires (surtout < 1/500) peuvent représenter des indications de choix, car chez les patientes présentant un risque combiné entre 1/250 et 1/500, le risque résiduel n’est pas nul. Cette attitude est proposée avec de nombreux arguments par l’équipe du Pr Nicolaides(4). Les translocations robertsoniennes équilibrées, impliquant les chromosomes étudiés par l’ADN, ainsi que les antécédents familiaux de trisomies 21, 13, 18, constituent également des indications classiques. Les indications dans le bas risque, en alternative à une amniocentèse de convenance parfois réclamée par les patientes, peuvent permettre d’éviter le risque d’un prélèvement invasif, sans augmenter le risque d’amniocentèse injustifiée (le risque de faux positifs restant très faible comme souligné dans une étude récente(5)). Il est, bien entendu, exclu d’inciter les patientes à bas risque à s’orienter vers ce test. Les anomalies échographiques doivent être exclues de cette indication, car elles nécessitent la réalisation d’un caryotype complet. Dans certaines situations (soft signs), alors que le risque combiné du 1er trimestre est intermédiaire et le terme peu propice à la réalisation d’un geste invasif (par exemple, 24 SA), le test peut permettre de rassurer parents… et échographiste. Nos résultats du 1er janvier 2013 au 6 mai 2014 : – 1 220 résultats connus, – 7 re-prélèvements dont 2 sont restés ininterprétables, – 2 faux positifs sur jumeau évanescent : 1 T21, 1 T18, – 16 T21 : marqueurs > 1/250 identifiés sur étude de l’ADN et confirmés par amniocentèse. Le futur Les tests non invasifs permettent actuellement de rechercher d’autres anomalies que la trisomie 21 : la liste des affections recherchées ne peut qu’augmenter. Actuellement, l’ADN des chromosomes 13, 18 et 21 peut être quantifié, mais également celui des chromosomes 16, 22, X et Y et des régions 1p36, 5pter, 15q11q12 et 22q11. Les risques intermédiaires, en particulier entre 1/250 et 1/500 et jusqu’à 1/1 000, constitueront sans nul doute une indication de choix, en permettant de réduire les faux négatifs du risque combiné. Le remboursement par les systèmes sociaux des tests non invasifs permettra, dès lors que leur prix aura baissé de façon importante, d’obtenir un modèle économique fiable en diminuant de manière impressionnante le nombre de tests invasifs : en 2011, selon les données de l’agence de la biomédecine, 28 199 prélèvements invasifs ont été réalisés pour un risque combiné supérieur à 1/250 en raison d’anomalie des marqueurs sériques, conduisant à 989 (3,5 %) caryotypes anormaux. Plus de 27 000 prélèvements invasifs auraient ainsi pu être évités par les tests de dépistage non invasifs.
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