Gynécologie de l'enfant et de l'adolescente
Publié le 09 mar 2016Lecture 7 min
Ménométrorragies chez l’adolescente
M. BIDET, Unité d’endocrinologie gynécologique et diabétologie pédiatrique, Centre de pathologies gynécologiques rares, hôpital Necker-Enfants Malades, Paris
Les ménométrorragies chez l’adolescente sont essentiellement fonctionnelles (80-90 %), plus fréquentes dans les 2 premières années suivant les premières règles. Toutefois, elles peuvent révéler une pathologie de l’hémostase acquise ou constitutionnelle ou encore plus rarement une pathologie organique qu’il convient d’éliminer. La prise en charge est guidée par l’étiologie et par la sévérité des saignements.
Définition et fréquence Les ménométrorragies sont des saignements anormaux par leur durée (> 7 jours) et/ou leur fréquence (cycle > 21 jours) et/ou leur abondance (> 80 ml). Chez l’adolescente, elles sont plus fréquentes dans les 2 premières années suivant les premières règles. Dans la population générale, la fréquence des ménorragies est estimée de 12 à 23 %. Chez les adolescentes, la fréquence des ménorragies est rapportée de 4 à 37 % selon que l’on considère les jeunes filles dont le caractère très hémorragique des règles a nécessité un traitement médicamenteux (série française) ou si l’on demande aux jeunes filles si leurs règles sont abondantes (série suédoise). Cela souligne la difficulté et la subjectivité associées à l’évaluation des saignements, en particulier pour de toutes jeunes adolescentes. Évaluation des saignements L’abondance peut être évaluée par le nombre de changes par jour, leur souillure, l’existence de caillots et/ou de débordements. Ces critères sont ceux du score de Higham, score semi quantitatif développé pour évaluer les menstruations. Un score > 100 est associé avec une bonne sensibilité à des pertes menstruelles > 80 ml (tableau). La sévérité des saignements doit être aussi évaluée cliniquement par la recherche de signes d’anémie et/ou de mauvaise tolérance (pâleur cutanéo-conjonctivale, céphalées, dyspnée, tachycardie, TA, signes de chocs). Biologiquement, le taux d’hémoglobine permet d’apprécier la sévérité du saignement. Les étiologies Dans 80 à 90 % des cas, les ménorragies chez l’adolescente sont fonctionnelles, secondaires à une dys ou anovulation. La muqueuse endométriale estrogénisée desquame de manière anarchique selon les variations du taux d’estradiol. Ces ménorragies pubertaires surviennent le plus souvent aux cours des deux premières années qui suivent la ménarche. Bien que fréquent, le caractère fonctionnel des ménorragies est affirmé après avoir éliminé les autres causes possibles. Les causes organiques, rares chez l’adolescente, seront éliminées de principe, en particulier la grossesse. Les tumeurs de l’ovaire, les causes locales et infectieuses ont une autre présentation clinique, (métrorragies plus que ménorragies, leucorrhées, fièvre, douleurs pelviennes, jeune fille avec activité sexuelle, etc.). L’hypothyroïdie est classiquement rapportée comme cause de ménorragie (13,2 % à 22 % selon les séries). Cependant, l’oligoménorrhée est beaucoup plus fréquente. Les autres causes hormonales doivent être recherchées en cas d’arguments cliniques (hyperandrogénie et/ou spanioménorrhée > 2 ans après les règles). Les ménorragies peuvent révéler des pathologies constitutionnelles de l’hémostase, comme la maladie de Willebrand qui touche 0,6 à 1,3 % de la population générale et 5 à 36 % des adolescentes consultant pour ménorragies, des anomalies plaquettaires, des déficits en facteurs de la coagulation. Les ménorragies pubertaires peuvent aussi révéler des pathologies de l’hémostase acquises : thrombopénie centrale ou périphérique, insuffisance hépatique, rénale et bien sûr médicamenteuse (antivitamines K, AINS, etc.). Évaluation clinique étiologique L’examen évalue le stade pubertaire. Il élimine la prise de médicaments perturbateurs de l’hémostase. Il recherche des arguments pour une pathologie de l’hémostase acquise (examen cutané, hépatosplénomégalie) et des arguments pour une pathologie constitutionnelle de l’hémostase (encadré 1). Seulement en cas d’arguments pour une étiologie locale et de manière adaptée, un examen gynécologique peut être réalisé. Examens complémentaires Les examens de première et seconde intention sont résumés dans l’encadré 2. Chez l’adolescente, la fréquence des troubles de l’hémostase rend indispensable le bilan de première intention. Le bilan de deuxième intention est d’indication large (recommandation niveau C) chez l’adolescente : en cas d’arguments en faveur d’une pathologie constitutionnelle de l’hémostase (encadré 1), en cas de ménorragies avec anémie majeure aux premières règles, en cas d’échecs des traitements de première intention. Prise en charge (algorithme) La prise en charge est guidée par la sévérité des saignements et l’étiologie sous-jacente. Le diagramme en annexe propose une prise en charge en fonction du taux d’hémoglobine. • Les antifibrinolytiques : acide tranéxamique Exacyl® ou Spotof® 20-25 mg/kg per os toutes les 6 à 8 h (jusqu’à 1,5 g par prise) ou 10 mg/kg IV toutes les 8 h (jusqu’à 1 g par prise) sont indiqués dans toutes les formes de ménorragies pubertaires. Le traitement est efficace, même en cas d’anomalies de l’hémostase : réduction du volume menstruel de 94 ml (IC 95 %: 151,4, -36,5) versus placebo. Il n’y pas de surrisques graves associés aux antifibrinolytiques, notamment thrombotiques, versus placebo. La dose est réduite en cas d’insuffisance rénale. • Les estroprogestatifs (COP) sont prescrits en cas de demande de contraception, en cas de saignements modérés sans cycle repérable ou en cas de ménorragies graves. Les contre-indications à la COP, rares à cet âge, seront systématiquement recherchées, notamment les antécédents thrombo-emboliques familiaux survenus avant 50 ans. En cas de contre-indications à la COP, un progestatif dénué d’effets métaboliques sera prescrit, 21/28 J, ex : Lutéran® 10. Sur le long terme, le dispositif intra-utérin Mirena®, délivrant 20 µg/j de lévonorgestrel, a montré son efficacité chez l’adulte sur les métrorragies réfractaires, notamment dues à une anomalie de l’hémostase. Son utilisation à l’adolescence fait l’objet de plusieurs publications. La pose peut être difficile chez une adolescente peu habituée à l’examen gynécologique et/ou nullipare ; dans ce cas, le geste pourra être envisagé sous sédation et/ou avec sa forme short : Jaydess®. La desmopressine (DDAVP, Octim®, Minirin®) augmente la sécrétion du facteur VIII et du facteur de Willebrand. Elle est prescrite en intranasal à 300 µg (1 dose/chaque narine) pour patiente de plus de 50 kg, 150 ug (< 50 kg) à renouveler à 12 h, pendant 2 jours ou en IV à 0,3 µg/kg dans 25-50 ml de sérum physiologique sur 15-20 minutes. Très peu d’études rapportent les effets de ce traitement en cas de ménorragies chez des patientes sans troubles de l’hémostase, mais il peut être associé par exemple à l’acide tranéxamique. Chez les patientes avec troubles de l’hémostase, son efficacité est variable : de nulle à 20 % de réduction du flux menstruel chez les patientes atteintes de Willebrand. Un test préalable réalisé par les hématologues peut être utile. Des troubles vasomoteurs sont souvent observés, les troubles hydroélectriques rares font limiter les apports hydriques. Cas particuliers des jeunes filles avec troubles de l’hémostase Chez les patientes dont les troubles de l’hémostase sont connus, les ménorragies sont probablement dues à la pathologie de l’hémostase, mais les autres causes doivent être recherchées. Chez ces patientes, la ménarche est une situation à risque, puisque environ 80 % des patientes rapportent des ménorragies. Ceci retentit sur leur qualité de vie très précocement avec une atteinte du score global de qualité de vie et en particulier du score physique chez les adolescentes. La prise en charge, lorsque la pathologie est connue depuis l’enfance, aura pour but d’anticiper les premières règles et d’éviter ces épisodes de ménorragies par une collaboration gynécologue-hématologue et une éducation de la jeune fille et de ses parents. Conclusion Les ménorragies chez les adolescentes sont fonctionnelles dans la majorité des cas. Toutefois, elles peuvent révéler des pathologies, en particulier de l’hémostase, et peuvent être d’une particulière gravité nécessitant une prise en charge adaptée, notamment avec des traitements hormonaux.
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