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Grossesse

Publié le 25 mar 2024Lecture 4 min

Autres temps, autres mœurs

Israël NISAND, Professeur émérite de gynécologie obstétrique, chef d’unité à l’Hôpital américain de Paris

Le 30 juillet 1943, après un procès de deux jours, on décapitait Marie-Louise Giraud, 39 ans, blanchisseuse à Cherbourg. Pas de Robert Badinter pour éviter que, après le refus de la grâce par le maréchal Pétain, dans la cour de la prison de la Roquette à Paris, l’irréparable soit commis. Son crime ? Avoir interrompu 27 grossesses à la demande de femmes en détresse, dont nombre de maris étaient partis à la guerre. C’était une « faiseuse d’anges». Sa mémoire, immortalisée en 1988 par Claude Chabrol dans Une affaire de femmes, mérite un respect infini tout autant que celle de Désiré Pioge, guillotiné pour trois avortements le 22 octobre 1943.

Alors que le droit à l’avortement s’inscrit aujourd’hui dans la loi fondamentale de la France après un vote assez unanime (780 pour et 72 contre), 15000 condamnations ou mesures judiciaires eurent lieu entre 1940 et 1944 au motif que l’avortement était nuisible à l’unité du pays, à l’État et au peuple français. Autre temps autres mœurs. Le fait que le Conseil d’État et la Commission nationale consultative des droits de l’homme aient, tous deux, souligné que le cadre juridique actuel ne constitue pas un rempart suffisant contre la remise en cause de ce droit, son inscription dans la constitution est une bonne nouvelle surtout si elle garantit effectivement ce droit humain fondamental. Rappelons cependant que la résonnance internationale de cet événement est faible pour l’instant et que ce droit chèrement acquis en France subit toujours des régressions dans de nombreux pays. Des femmes argentines, polonaises, colombiennes, congolaises ou américaines devront sans doute encore longtemps arborer le foulard vert pour que leurs pays leur reconnaissent ce droit. « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté des femmes, qui lui est garantie, d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse », est-il désormais inscrit à l’article 34. Ainsi, aucune loi ne pourra dorénavant en France explicitement interdire l’avortement sans changer préalablement la Constitution. Mais le verre n’est encore qu’à moitié plein. L’accès à l’IVG pourrait être amélioré. Certes l’IVG hors établissements de santé représente désormais 38 % des IVG, mais, dans certaines régions, les praticiens et les sages-femmes qui la proposent sont encore trop peu nombreux, et des obstacles administratifs issus du bon vieux contrôle patriarcal du corps des femmes subsistent : acte réservé, distribution des médicaments difficile et contraignante pour les professionnels de santé, et rémunération de l’acte insuffisante. Les hôpitaux qui devraient accueillir les IVG en semi-urgence sont souvent dans l’impossibilité de le faire par manque de personnel. Par manque de moyens humains donc, mais aussi par manque de place en salle d’opération, ils sont parfois dans l’incapacité d’offrir un véritable choix de la méthode d’IVG qu’ils imposent donc sans prendre en considération les volontés personnelles des femmes. Enfin, malgré une modification toute récente des tarifs remboursés aux hôpitaux, cette activité n’est pas valorisée à son véritable coût, ce qui pénalise ceux qui souhaitent respecter ce droit des femmes désormais gravé dans le marbre de la Constitution. En 2023, le nombre d’IVG a été plus élevé que les années précédentes, et si chaque femme de France a pu trouver une solution à sa demande, parfois au prix d’un déplacement dans le département voisin, la prévention demeure le véritable parent pauvre de cette inscription. La loi de 2001 sur l’éducation à la vie affective et sexuelle n’est pas mise en œuvre et repose dans son application sur des initiatives bénévoles ici ou là. Le résultat, ce sont 15000 IVG chez les mineures là où ceux qui éduquent leurs enfants en ont trois fois moins et 90 000 chez les moins de 25 ans. La joie patriotique du 4 mars 2024 – notre pays est devenu le premier à inscrire le droit à l’IVG dans sa loi fondamentale – est donc mêlée d’une certaine insatisfaction quant à cette question subsidiaire : qu’est-ce que cette loi changera pour les femmes au quotidien ? Pas grand-chose en fait. Le bénéfice politique de l’opération est certes évident, mais le bénéfice sanitaire restera dans les limbes tant que les hôpitaux seront, et cela n’échappe à personne, dans le rouge et sans réels moyens pour mettre en œuvre une vraie facilitation. Il n’y a que trop peu de moyens pour améliorer dans les faits l’accessibilité à l’IVG et encore moins pour les prévenir. Un certain parfum de tristesse flotte, hélas, dans l’air après l’extinction des lampions de la fête pour celles et ceux qui sont chargés de faire de ce droit une réalité.

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